Denis DUCLOS
RIVAGES
372pp - 20,58 €
Critique parue en juillet 1999 dans Bifrost n° 14
En proie à la fièvre sur la côte guyanaise, Pierre Boucquard est soigné par un vieux chaman indien, Bhogoral. On est en 1931. Pierre vient d'être licencié de la compagnie pétrolière qui l'employait, et il a décidé de partir à la recherche d'un aventurier, Augustin Coriac, un ami de son grand-père, qui a disparu dans la région un demi-siècle plus tôt.
Bhogoral lui raconte alors un étrange récit, celle que lui a fait, quand il était enfant, son aïeul, Capitaine-Papa, de retour d'un long voyage au cours duquel il a escorté deux Blancs qui étaient peut-être Coriac et son compagnon. Un voyage qui a mené le grand-père de Bhogoral et deux des oncles de celui-ci dans l'archipel de Longwor, ignoré des cartes, que seul la chevauchée en pirogue du Grand Dragon permet d'atteindre.
Longwor, « ce lieu hybride ? On songeait à une colonie européenne des confins, et aussitôt l'esprit dérouté pensait à un comptoir antique ou à une cité médiévale. L'île exhalait un parfum de république de flibustiers qui se serait endormie, mais des détails ne cadraient pas. » Et le narrateur d'ajouter : « Où nos voyageurs avaient-ils donc été transportés ? et quand ? »
Pour son premier roman, Denis Duclos, sociologue, et auteur de plusieurs essais, a choisi la difficulté : recréer un monde à la fois familier et distant, user de codes rebattus (le monde perdu, les sauvages, la jungle) et d'une langue aussi riche que désuète, c'est se placer d'emblée en marge de la fantasy « classique » — lire : (peu) inspirée de Tolkien.
C'est pourtant ce qui fait tout l'éclat de ce bijou. C'est un hommage à Cendrars, son style sensuel et ses atmosphères moites (L'or, Rhum…) ; Eco (L'île du jour d'avant) ; et le Vance de Lyonnesse. Les péripéties plus rocambolesques et connotées les unes que les autres ne sont que l'écrin d'un hymne à la sensualité, l'amour, l'aventure, la découverte des mystères de soi et du monde.
Drôle de roman. Il faut s'habituer à cette écriture gorgée de sève, à ces figures de style, à ce décalage constant entre l'effet de réel et la connaissance qu'on a de la géographie des Caraïbes. Alors, quelle fête pour le cœur et l'esprit !
Et la suite paraît cet automne ? Vivement l'automne.