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Les critiques de Bifrost

Lord Darcy, l'intégrale

Randall GARRETT
MNÉMOS
512pp - 27,00 €

Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84

Randall Garrett fait partie de ces stakhanovistes du clavier qui, dans les années 50-60, abreuvèrent les revues américaines spécialisées d’innombrables textes, signées de non moins innombrables pseudonymes, et qui serait aujourd’hui totalement tombé dans l’oubli s’il ne se trouvait dans sa bibliographie une œuvre d’exception : une poignée de textes (un roman, dix nouvelles) mettant en scène Lord Darcy. Après une première publication (partielle) au début des années 80 chez Temps Futur, puis une réédition il y a une quinzaine d’années au Masque, voici que parait enfin l’intégralité de ce cycle en France.

La particularité de ces récits est de se situer d’un point de vue littéraire au croisement de plusieurs genres. Uchroniques, les aventures de Lord Darcy se déroulent dans les années 1960-70, dans l’Empire anglo-français, entre Londres et Paris. Un Empire gouverné depuis plus de huit siècles par la dynastie des Plantagenêts, qui n’a connu ni révolution industrielle, ni guerres prolongées. Un monde où la magie occupe une place prépondérante, ce qui du même coup fait basculer l’œuvre du côté de la fantasy. Quant aux intrigues, c’est dans le roman policier qu’elles trouvent leur inspiration, chaque texte mettant en scène un ou plusieurs meurtres que Lord Darcy, en qualité d’enquêteur principal de Son Altesse royale Richard de Normandie, est amené à résoudre.

Le tour de force de Randall Garrett est que, quel que soit le genre par lequel on aborde cette œuvre, le résultat est toujours aussi convaincant. Outre l’originalité de l’uchronie qu’il a conçue, elle lui permet de décrire un univers et des personnages à la fois truculents et désuets, et de signer des dialogues d’un maniérisme exquis. Côté fantasy, son traitement de la magie, aux antipodes des poncifs du genre, nous la fait apparaitre comme une science rigoureuse et précise, souvent peu spectaculaire mais d’une efficacité indiscutable. Personnage récurrent de la série et indispensable adjoint de Darcy, Sean O Lochlainn, Maître Mage, est la personnification de cet esprit. Mais si la magie est omniprésente dans ces récits, jamais Randall Garrett n’y a recours de manière opportuniste pour dénouer les crimes qu’il met en scène. De ce point de vue, il choisit de jouer à armes égales avec les plus grands du genre, de Conan Doyle à Agatha Christie, et de ne s’appuyer que sur la logique des faits et les déductions de son enquêteur.

Même si Randall Garrett varie les situations et les contextes d’une nouvelle à l’autre, passant d’un crime passionnel à une affaire d’État, d’un drame familial à un récit d’espionnage, la lecture d’une traite de cette intégrale n’évite pas un léger sentiment de répétition. Seuls les deux derniers textes se démarquent vraiment de leurs prédécesseurs dans la forme. « Le Napoli Express », comme son titre le laisse deviner, se déroule dans un train et s’avère être un pastiche très réussi du Crime de l’Orient Express. Quant à « Le Sort du Combat », situé quelques décennies avant les autres, il raconte la première rencontre entre Darcy et O Lochlainn. À cette légère réserve près, les aventures de Lord Darcy constituent une lecture enthousiasmante de bout en bout.

Philippe BOULIER

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