Ken Liu qui écrit un roman « Star Wars » ? Pourquoi pas ! Les mauvaises langues persifleront peut-être, mais quand l’auteur avance que cela revient à réaliser un rêve de gosse, tant il se sent « chez lui » dans cet univers, on avouera que plus d’un lecteur peut partager ce ressenti.
Maintenant, Luke Skywalker : légendes est d’abord un roman « Star Wars », et ensuite seulement, et éventuellement, un roman de Ken Liu ; et lire ce bouquin de licence au ton passablement « jeunesse » au seul motif qu’il en est l’auteur ne serait probablement pas une très bonne idée. Toutefois, on appréciera comment l’auteur a rempli son contrat, mais d’une manière un peu inattendue — qui ne parlera pas forcément aux fans hardcore de la saga, qui savent ce que doit être un bon roman « Star Wars » (celui-ci n’a pas toujours été accueilli comme tel…). Car Ken Liu livre une sorte de fix-up non dénué d’humour, où l’action est au second plan.
Le roman s’inscrit dans une série accompagnant la nouvelle trilogie, et revient sur Luke Skywalker avant Les Derniers Jedi. Le héros est devenu une figure mythique — l’objet de bien des histoires, légendes, rumeurs, calomnies… À bord d’un vaisseau cargo, de jeunes mousses avec des étoiles plein les yeux se racontent des histoires pour passer le temps ; un thème imprévu se dégage, et six récits seront consacrés au chevalier Jedi.
Des histoires très différentes : dans la première, Skywalker est un imposteur et l’Étoile de la Mort n’a jamais existé ; ensuite, nous avons droit à une figure christique qui pousse dans ses derniers retranchements la compassion pour ses ennemis ; puis c’est un mystique apprenti curieux des sagesses exotiques ; après quoi c’est un homme prêt à risquer sa vie pour des droïdes ; ensuite un imbécile charismatique, qui vole la vedette au vrai héros des premières scènes du Retour du Jedi ; enfin, un pilote curieux qui croit possible de concilier sa mystique et le savoir scientifique — en prenant une savante en stop.
La première de ces histoires, délire con-spirationniste dont on rit jaune, fonctionne comme un avertissement : ces récits ne sont pas nécessairement vrais, ce sont des légendes, parfois incompatibles, et les narrateurs ne sont pas fiables : chacun a son Luke Skywalker — et c’est ainsi que chacun peut être Luke Skywalker : d’une certaine manière, c’est à cela que servent les héros.
Cet ensemble à la façon des Contes de Canterbury est inégal — outre que les interludes sont un peu faibles. Deux « légendes », celles qui cassent le mythe, sont très drôles, parfois un tantinet limite, mais leur caractère inattendu plaide en leur faveur. Les deux récits où la Force est centrale pâtissent un peu de la lourdeur mystique associée, mais Ken Liu s’en sort bien en créant des écologies intéressantes (dont la première fait penser à « Terremer »). Les deux histoires restantes sont plus anecdotiques, et pèchent un peu côté motivation — leur valeur réside dans leurs narrateurs originaux : un officier impérial et un droïde.
Mais l’idée de ces récits enchâssés est pertinente, et le roman assez inventif — même quand il brode sur des scènes fameuses — et divertissant. Mission accomplie, donc, et si Luke Skywalker : légendes n’intègrera pas la liste des chefs-d’œuvre de Ken Liu, il pourra satisfaire des amateurs de « Star Wars » disposés à envisager leur univers adoré d’une manière un peu différente, et pourtant adéquate.