Richard COMBALLOT, Daniel WALTHER, Alain DARTEVELLE
EONS
248pp - 14,80 €
Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50
Daniel Walther, qui, il y a peu, fit l'objet d'un dossier Bifrost, est à l'honneur dans ce numéro spécial de Lunatique, le second après celui dédié au regretté Michel Demuth. Au sommaire quatorze nouvelles, dont quatre inédites, cinq articles, le tout accompagné d'un entretien avec Richard Comballot.
Comme ce dernier le signale, pour réunir une anthologie de Daniel Walther, il n'y a qu'à se baisser : le choix ne manque pas avec près de 160 nouvelles au compteur, souvent parues dans des supports confidentiels, partagées entre science-fiction, fantastique et fantasy, toutes plus ou moins fortement dopées à la testostérone. Car la sexualité est une constante chez l'auteur alsacien, qui est tout simplement incapable de se passer de cette dimension dans ces textes. Le recueil s'ouvre sur une belle et sombre nouvelle d'un narrateur confronté à l'Apocalypse et à sa propre mort, torturé par la question de : combien de temps encore ? Toujours dans les années 70, « Les Guêpes géantes de Fessenheim » traite de mutations dues au nucléaire, bien dans l'air du temps, alors que le vent de liberté et de révolte d'inspiration dadaïste qui souffle dans « Les 100 millions de chevaux de la planète Dada » connaît, sur fond de sexualité mortifère, une conclusion pessimiste. La sexualité dévorante, exigeante, de la femme, angoissante pour l'homme qui doute de ne pouvoir la satisfaire, se retrouve dans nombre de textes, fantasmatique avec le beau « Cantilène dans une flaque d'encre » qui évoque aussi la descente dans l'enfer de la dépression d'un écrivain qui se croyait « arrivé », fantastique dans « Caguefoutre » où s'immisce un fantôme lubrique, entre space opera et fantasy dans « Otages de l'hiver », et finalement menaçante dans « Lames de fond », où rôde la hantise de la castration. Alain Dartevelle se livre d'ailleurs à une intéressante étude sur le rôle et la place du sexe dans l'œuvre de Daniel Walther, lequel, dans ses articles, ne manque pas d'adresser un hommage à André Hardellet.
L'érotisme est une musique obsédante, les deux font d'ailleurs bon ménage comme il est démontré dans le « Manuscrit trouvé dans un étui à cigare », nouvelle qui rappelle que Daniel Walther est aussi un érudit impressionnant, qui truffe ses textes de références à l'art ou à l'histoire avec un naturel déconcertant. Ici, il évoque Joyce de façon étonnante, sous la forme d'un extraterrestre (« Hommage à Janus »), et dans « Traque à New Bornéo », écrit en collaboration avec Richard Comballot, il rend hommage à Conrad et Coppola. De fait, il ne craint pas de s'aventurer sur le terrain de l'uchronie avec une évasion réussie de Bonaparte dans « La Reconquête du Brésil ».
Journaliste et fantastiqueur accompli, Daniel Walther a aussi développé sur le genre des opinions qu'il délivre à travers des articles dénonçant l'omniprésence sanglante de l'horreur made in USA façon Stephen King et rendant hommage à des modèles comme Villiers de l'Isle-Adam et Gustav Meyrinck. Ses commentaires sur la science-fiction en passe de redevenir une littérature facile déclinant le space op' sont aussi à méditer.
Ce qui frappe à la lecture du recueil, c'est la dimension onirique dans laquelle baignent tous les textes. Daniel Walther écrit sur le principe du rêve éveillé, se lançant sans plan préétabli, et cela se voit : quand la fusion entre le rêve et le récit n'est pas totale ou immédiate, on voit le texte hésiter entre plusieurs directions, chercher un équilibre. Mais c'est aussi l'intérêt de ce type d'écriture que de donner à lire l'histoire à l'état brut, des impressions qui, visiblement, bataillent pour émerger jusqu'à ce que la nouvelle finisse par se centrer sur son propos et trouve sa cohérence.
Celle, en tout cas, de ce Lunatique est limpide : elle célèbre un auteur qui ne cède à aucune mode, et qu'on a trop souvent tendance à oublier — à preuve : il n'a pas d'entrée à son nom dans Wikipedia. Ce qui rend d'autant plus essentielle la lecture de cette anthologie.