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Les critiques de Bifrost

Critique parue en avril 2018 dans Bifrost n° 90

Voilà un livre auquel j’entends éviter de donner un résumé précis, car il serait dommage que les lecteurs voulant le découvrir, ou entamer la trilogie de l’auteur nord-irlandais, en sachent trop par avance. Luna, le premier tome, faisait plus que poser le décor d’une Lune partagée entre quelques familles industrielles où tout, y compris l’eau bue et l’air respiré, est compté, et facturé. (Surtout, garder les moyens de payer.) Bien entendu, dans cette société capitaliste, les possédants ne possèdent jamais assez – on croirait presque qu’elle excède la nôtre au lieu de la refléter –, si bien que les rivalités économiques font rage, jusqu’au jour où éclate une véritable guerre, qui se solde par des morts et par la chute de l’un des clans dominants – dont certains des membres, surtout parmi les jeunes, seront pourtant épargnés. Quand s’ouvre ce deuxième volume, on les retrouve tentant qui de survivre, qui de se venger, qui de rebâtir l’empire perdu. Cela peut passer par la clandestinité, par l’intégration dans un système social original (la meute), voire par la descente sur Terre d’un natif de la Lune dont l’organisme n’est pas du tout conçu pour une pesanteur aussi impitoyable.

Il y a plus de trente-cinq ans, Ian McDonald débutait dans la revue Extro, lancée à la même période qu’Interzone sans connaître un succès comparable (trois numéros pour l’une, deux cent soixante-quatorze pour l’autre à ce jour). Au sommaire, il côtoyait des écrivains de la vieille garde britannique – James White, Bob Shaw et Richard Cowper. Il y a trente ans, il publiait un premier roman et un premier recueil également brillants, Désolation road et État de rêve. Divers titres ont suivi, souvent remarquables, parfois remarqués, parmi lesquels on distinguera Roi du matin, reine du jour, superbe fantasy irlandaise, deux ouvrages marqués par l’Inde, Le Fleuve des dieux et La Petite déesse, avec d’autres livres puisant leur inspiration en Afrique, en Turquie, au Brésil… « Luna », pour les deux volumes que nous en connaissons, constitue en quelque sorte le résumé et le couronnement de cette œuvre.

Présentée comme « Le Trône de fer sur la Lune », la série de McDonald impressionne comme peu d’œuvres depuis des années. On retrouve l’inventivité socio-sexuelle d’un Varley alliée à l’assise scientifique d’un Heinlein ou d’un Bear et à l’humanisme cultivé d’un Sturgeon ou d’un Delany. L’intelligence et la sensibilité de l’auteur lui permettent de fondre ces influences comme dans un creuset (un Creuset joue un rôle fondamental dans l’intrigue de ces romans), de reprendre certains de ses gimmicks, par exemple un vocabulaire multinational ici facile d’accès, et de dresser des portraits complexes de femmes et d’hommes en quête de pouvoir, mais selon des modalités opposées : il s’agit d’atteindre soit à la domination (de soi, des autres), soit à la libération (de soi, des autres).

Cette Lune est pleine ; son éclat n’en apparaît que plus éblouissant.

Pierre-Paul DURASTANTI

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