Michael MCDOWELL
MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE
440pp - 12,90 €
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
[ Ce billet porte sur Katie et Lune froide sur Babylon ]
2024 a vu la « Bibliothèque Michael McDowell » s’enrichir de deux titres. Katie et Lune froide sur Babylon viennent s’ajouter à la saga « Blackwater » (cf. Bifrost n°107) et aux Aiguilles d’or (cf. Bifrost n°114). Si Katie (1982) demeurait inédit en français, Lune froide sur Babylon (1980) fit l’objet d’une première traduction de notre côté de l’Atlantique en 1990, sous le titre Les Brumes de Babylone. Jamais réédité depuis, il reparaît dans une traduction révisée.
La (re)mise en avant de ce dernier permet de (re)découvrir un pan de l’univers mcdowellien pour l’heure absent de la « Biblio- thèque » que lui consacre Monsieur Toussaint Louverture, à savoir celui du thriller horrifique contemporain. Se distinguant en cela des historiques « Blackwater » et des Aiguilles d’or, Lune froide… se déroule en effet dans les USA du début des 80’s. Soit un contexte socio-politique, mais aussi fictionnel, que le roman reflète à plus d’un titre. Prenant place dans la rurale et floridienne cité de Babylon, entrecroisant tragiquement les destinées des Larkin (de modestes cultivateurs de myrtilles) et des Redfield (tenant lieu de magnats à Babylon), le récit dessine une Amérique qui bascule dans l’ultralibéralisme des années Reagan. Celui-ci s’incarne dans le personnage de Nathan Redfield, figure de yuppie prêt à tout afin de satisfaire sa dévorante passion du lucre. Pour mettre en scène le cauchemar sociétal qu’est pour McDowell la mue reaganienne de son pays, l’écrivain acclimate au champ littéraire le genre cinématographique (éminemment early 80’s) du slasher. Lune froide… étant hanté par un psychokiller masqué tel le Michael Myers d’Halloween… mais aussi par d’authentiques spectres. Car, marqué par l’air du temps dans lequel il est composé, Lune froide sur Babylon n’en est pas moins profondément mcdowellien. Le roman relit en effet les éléments susdits selon une tonalité Southern Gothic pareille à celle de « Blackwater », accordant un rôle aussi surnaturel que décisif aux eaux marécageuses baignant Babylon…
Soit un monde duquel Katie semble, a priori, fort éloigné. La topographie parcourue par le roman est celle du Nord-Est des États-Unis, dont New York constitue l’espace nodal. Katie se déroule par ailleurs à la fin du xixe siècle, à l’instar des Aiguilles d’or dont il partage non seulement le contexte, mais encore l’inspiration littéraire. De même que ce dernier roman, Katie puise dans le patrimoine, ou plutôt dans le matrimoine romanesque du xixe, pouvant s’appréhender comme une relecture fantastico-horrifique de ceux de Jane Austen. Katie dépeint ainsi la jeune Philo Drax, synthèse très austenienne de vertu et de résilience, dont les espoirs, sociaux comme amoureux, sont (pour le moins) contrariés par celle donnant son titre au livre. Se posant en antithèse moralement absolue de Philo, Katie use avec une constance diabolique de talents (sur)naturels — tel l’art du maniement du marteau ou celui de la voyance — pour faire de la vie de Philo un enfer, tout en satisfaisant son insatiable appât du gain. La protagoniste de Katie n’est ainsi pas sans rappeler celui de Lune froide sur Babylon, en constituant (peut-être) une manière d’aïeule.
En réalité pas si éloignés l’un de l’autre, donc, ces deux nouveaux titres de la « Bibliothèque Michael McDowell » participent d’une même contre-histoire des États-Unis via le prisme de l’Imaginaire. Celle-ci s’avérant d’autant plus convaincante que, une nouvelle fois, McDowell y fait montre d’un talent narratif d’une implacable efficacité !