En 1998, à propos d'Escales dans les étoiles, j'écrivais dans ces mêmes colonnes : « La verve picaresque qui est la marque de Vance est toujours bien là, la magie du verbe étincelle comme aux plus beaux jours, mais elle n'est plus qu'une mue chatoyante. La vigueur de l'intrigue n'est plus, enfuie au loin. Il ne reste qu'une peau de mots (…), un spectre de roman. »
C'est terrible, car tout ce que l'on pourrait dire de Lurulu est déjà dit, il n'y a rien à ajouter. En fait c'est même pire, car il s'agit d'une resucée. C'est une suite au sens le plus strict. À la fin d'Escales dans les étoiles, on s'était arrêté en un point du voyage duquel on repart pour Lurulu. Ceci étant, il n'est nullement indispensable de lire le premier opus naguère paru chez Rivages (et depuis réédité chez Pocket) pour apprécier autant que faire se peut. D'ailleurs, un résumé vous en dispense.
On retrouve donc Myron Tany devenu subrécargue du Glicca, le capitaine Maloof, Schwatzendale, joueur professionnel et ingénieur mécanicien, et Wingo, l'intello cuisinier. Le Glicca laisse en transit à Coro-Coro, sur Fluter, sa cargaison de pèlerins, mais poursuit sa route avec Montcrief et sa troupe de femmes de cirque, Les chevaucheurs de souris.
Avant de reprendre leurs pérégrinations cosmiques, nos amis — ça, quand il le veut, et c'est le cas ici, Jack Vance sait rendre ses personnages sympathiques — vont tout d'abord régler un problème plus ou moins policier. L'écervelée de mère du capitaine nantie d'une rente non négligeable s'était entichée d'un bellâtre originaire de Fluter avec qui elle avait pris la poudre d'escampette. Maloof et Myron Tany mettent à profit l'escale pour tenter de savoir ce que devient la dame et découvre que Loy Tremaine, loin de n'être qu'un gigolo, est aussi un tueur pédophile. Maloof et Tany en réchapperont et tireront la dame des griffes de l'abominable personnage grâce aux pères des jeunes victimes prompts à jouer du fusil à pompe. On est chez Jack Vance, qui a toujours élevé un véritable culte à la vengeance, mais on reste à des lustres lumières de La Geste des Princes Démons…
Tout en cabotant de monde en monde, comme entre Saint-Nazaire et La Rochelle, le capitaine du Glicca aura à trancher un épineux problème de droit de l'esclavage : déterminer si la prostitution fait partie de ce que l'on peut exiger d'un esclave. Peut-être, mais encore faut-il que les esclaves en soient bien et que les actes juridiques ne l'excluent pas.
Après avoir livré des bidons de colle puis les avoir récupérés après qu'ils ont été volés, l'équipage du Glicca va se faire — encore une fois au sens strict — marchands de tapis. Sur cette même planète, les Chevaucheurs de souris seront engagés pour un spectacle qui tournera court après que le public a été aspergé d'entrailles de poissons et qu'ils ont dû fuir à toutes jambes le théâtre poursuivi par la vindicte populaire. Vous parlez d'une aventure !
Après être repassé par Coro-Coro récupérer les pèlerins toujours en transit pour les convoyer enfin à leur destination, le Glicca fera un crochet opportun par un monde soi-disant source de jouvence, où Dame Esther Lajoie, la tante de Myron Tany, était censée se rendre. Ils la retrouveront agonisante et sans le sou au fond d'un hospice minable juste à temps pour lui faire signer un testament en faveur de Myron portant sur ses biens hors monde. Bien que devenu riche, Myron restera avec ses amis du Glicca, que les Chevaucheurs de souris auront entre temps quittés…
Alors qu'il aura 90 ans cette année, le vieux maître n'est plus ce qu'il était. À bord du Glicca, il essaie de nous faire parcourir un maximum de mondes de l'Aire Gaïane comme dans l'urgence. Lurulu est peut-être son dernier livre, l'un des derniers, assurément, et lorsque viendra la fin, les mondes qu'il a imaginés mais qu'il ne nous a pas encore présentés seront à jamais perdus. Jack Vance écrit là comme s'il voulait sauver, sauvegarder, des pièces de son imagination.
C'est charmant, plaisant, mais dépourvu de tout intérêt. Lurulu est un livre destiné aux seuls exégètes de Vance ; les autres auront grand profit à s'offrir les superbes omnibus publiés chez Denoël en « Lunes d'encre » ou, pour les moins fortunés, aux rééditions en Folio « SF » ou au Livre de Poche. L'œuvre de Jack Vance est largement disponible en français, il serait donc dommage de mettre la priorité sur cet ouvrage mineur au détriment d'authentiques chefs-d'œuvre tels qu'Emphyrio, pour n'en citer qu'un.