Voici un livre à la mode. On ne dit pas souvent cela de romans, comme si toute littérature était définitivement hors d’atteinte de ce phénomène. Bien sûr, « on » ne veut pas que le livre soit un simple produit mercantile parmi des foisons d’autres. Non, cela ne saurait être. Le Livre, c’est la Culture même, avec les majuscules. Parfois, on ne semble pas bien loin d’une mystique du livre.
M. Pénombre, libraire ouvert jour et nuit est un roman qui prend place dans l’univers du livre ; comme l’excellent Club Dumas d’Arturo Perez-Reverte. Une quête sur et dans les livres, une société secrète, des grimoires codés… Tous les ingrédients d’un bon bouillon de bouquin sont réunis. Ce roman a été pensé, conçu, pour plaire largement.
Tout commence par l’embauche de Cley Jannon comme libraire de nuit dans l’officine de M. Pénombre, à San Francisco. Un bien étrange endroit où les étagères croulant sous les livres se perdent à des hauteurs vertigineuses auxquelles on accède en grimpant comme des singes à des échelles. On y trouve bien quelques livres à vendre, de la biographie de la star locale, Steve Jobs, à des trilogies de fantasy, mais surtout, au fond du fond : d’étranges ouvrages uniques et cryptés que de non moins étranges lecteurs viennent emprunter au cœur de la nuit. Cley est curieux, et le voilà se mettant en tête d’y comprendre quelque chose, se lançant ainsi sur la piste de la confrérie du Sacré Caractère aidé en cela par des amis aussi opportuns que nombreux…
C’est un roman dont on se dit qu’il ne casse pas trois pattes à un canard mais que, mine de rien, on ne lâche pas. On tient à aller au bout de l’histoire, à en connaître le fin mot.
S’il y a dans ce roman un incontestable amour des choses anciennes et des livres en particulier, s’y niche aussi une volonté de réconcilier cet amour avec les technologies les plus modernes, et ce n’est pas un hasard si Robin Sloan travaillait dans l’industrie du Net avant de s’adonner à l’écriture.
Enfin, si M. Pénombre est un roman sans méchant (Corvina, qui tient le rôle du grand méchant loup, en guise de la psychopathe de service, n’a guère plus à offrir qu’un brin de psychorigidité…), par sa construction, sa structure, ses personnages, sa quête du secret de l’immortalité et ses diverses péripéties, est bel et bien une fantasy contemporaine avec ce qu’il faut de merveilleux, quoique pas forcément celui auquel on s’attend.
Voici un livre bien fait, intelligent, brillant même, agréable, sympathique, bon sans aucun doute, dépourvu des fulgurances qui sont la marque des chefs-d’œuvre mais exempt de défaut, bref, un divertissement très réussi. Rien que cela, mais c’est déjà beaucoup.