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Les critiques de Bifrost

Mage de bataille - 1

Peter A. FLANNERY
ALBIN MICHEL
544pp - 24,00 €

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

Des trois ouvrages ayant été choisis par Gilles Dumay pour inaugurer le label Albin Michel Imaginaire, Mage de Bataille n’était sans doute pas le plus attendu, à côté de la locomotive Neal Stephenson [anatèm] et du pavé fantastique « À la King » de Robert Jackson Bennett. Archétype de la Big Commercial Fantasy, cet énorme roman coupé en deux avait aussi de quoi surprendre quand on connaît les choix de l’éditeur quand il officiait chez Denoël. Mais Albin Michel Imaginaire n’est pas « Lunes d’encre », et le choix de ce titre ne manque finalement pas d’intérêt, commercial en tout cas, tant il semble destiné a attirer vers la marque un public censément plus large.

Dans le monde de Mage de Bataille, la guerre contre les Possédés, une armée tout droit sortie des enfers, faire rage. Pour vaincre ces hordes de sauvages qui n’ont peur de rien, les peuples des Sept Royaumes d’Ire s’en remettent à leurs armées, à la tête desquelles officient les mages de bataille – dotés de la capacité d’invoquer des dragons venus de lointaines contrées. Falco Danté est un jeune employé de maison, mais il est surtout le fils d’un puissant mage devenu fou qui s’est retourné contre les siens, causant de nombreuses pertes avant de mourir. Au ban de la société, Falco ne trouve de réconfort que dans sa camaraderie avec Malaki, le fils du forgeron, doué au maniement des armes mais qui paie son origine des plus modestes. Lorsqu’un mage de bataille arrive dans leur ville pour affronter les Possédés, Falco ne trouve rien de mieux à faire que d’espionner ce dernier lors de l’invocation d’un dragon. Sans se douter qu’il va ainsi précipiter son destin, et celui de la plupart de ses proches…

On le voit au résumé qui précède, rien de bien original dans ce roman. Il est même extrêmement prévisible : dans l’une des toutes premières scènes du livre, on a déjà l’indication que Falco est plus que ce qu’il paraît. C’est clair d’emblée : le Mage de Bataille du titre, c’est lui. Dès lors, il ne fait plus de doute qu’on lit un roman d’apprentissage, comme en produit la fantasy par brassées. Avec les passages obligés que sont les erreurs payées au prix fort, des morts, mais aussi le soutien d’amis proches, le dépassement de soi et les actes héroïques, sans oublier les doutes permanents du protagoniste. Le monde inventé par Flannery est, lui aussi, conforme au standard habituel du registre (il semble, depuis George R.R. Martin, qu’un monde de fantasy doive comporter sept royaumes, ni plus ni moins), et ne présente aucune particularité notable qui le distinguerait du tout-venant. Bref, de l’archi-méga-déjà vu. Sauf que ça fonctionne, car Flannery fait montre d’une extrême efficacité dans son écriture — le bouquin se lit d’une traite, sans coup férir. Les personnages sont bien campés ; même si certains sont à la limite de l’archétype, la plupart sont travaillés en profondeur, et donc bien moins monolithiques qu’on l’imagine de prime abord. On se fait rouler dans la farine, on le sent bien, mais impossible de résister à l’envie de les accompagner dans leurs épreuves, de voir si Falco et les siens sauront contrer cette terrible menace que font peser les Possédés. Les actes de bravoure et les échecs, bien que prévisibles, interviennent au bon moment, et Flannery les orchestre avec compétence. On pourrait considérer ce roman sans saveur, tant il se contente d’apporter au lecteur ce qu’il attend, de le placer en terrain connu (un comble, quand on crée un univers de toutes pièces !), mais on est au contraire ravi de constater combien Flannery assume ce côté grand public, et s’acquitte de sa tâche avec une énergie remarquable. Nul doute qu’on ne trouvera pas davantage d’originalité dans l’ultime volet à paraître en février 2019, mais on attendra néanmoins avec impatience le dénouement de cette histoire, quand bien même on en devine déjà aisément les grandes lignes.

Bruno PARA

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