André-François RUAUD, Claude MAMIER, Elizabeth HAND, Delia SHERMAN, Léa SILHOL, Charles DE LINT, Harry MORGAN, Robert CHILSON, Mary ROSENBLUM, Karim BERROUKA, Bruno B. BORDIER, Catherine DUFOUR, Fabrice ANFOSSO
OXYMORE
278pp -
Critique parue en avril 2004 dans Bifrost n° 34
Il y a toujours un danger à critiquer une anthologie : celui de donner l'impression que l'on a guère apprécié l'ouvrage en tapant sur les quelques moments d'épouvante que l'objet contient sûrement (c'est la loi du genre). Je prends donc ici le parti de ne pas m'appesantir sur les textes qui ne m'ont pas convaincu (celui de Bruno B. Bordier en tête de liste), sur les illustrations intérieures, d'une laideur prodigieuse, pour parler plutôt des quatre perles (Hand, de Lint, Rosenblum, Dufour) et des surprises que contient cette fort belle Magie verte.
Commençons par les perles et en tête de liste : « Neige à Sugar Mountain » d'Elizabeth Hand. Comme le veut la formule consacrée, ce seul texte vaut à lui seul que vous achetiez l'anthologie d'André-François Ruaud. On y suit la rencontre, extrêmement touchante, d'un astronaute qui meurt du cancer et d'un jeune vagabond ayant en sa possession un talisman qui lui permet de se transformer en renard. Là où n'importe quel autre auteur américain aurait livré une banale et horrifique histoire de lycanthropie, Elizabeth Hand nous propose un texte ciselé, poignant, qui prend son temps. Un flot d'émotions pures et de pure émotion… Il n'y a plus qu'à espérer que les jurés du Grand Prix de l'Imaginaire lisent ce texte et lui décernent une palme bien méritée.
À moins d'être aveugle depuis dix ans, on ne peut ignorer la passion qu'André-François Ruaud nourrit pour l'œuvre du barde canadien Charles de Lint (écrivain et musicien de talent). S'il est incontestable que cet auteur a publié une bonne douzaine de romans passionnants, quasiment tous situés dans sa ville imaginaire de Newford, j'avoue que ses nouvelles précédemment traduites en français (toujours mignonnes et pleines de fantasy urbaine) ne m'ont jamais retourné… à l'exception, justement, de « Saskia », étonnante cyberfantasy d'une profonde humanité. On y suit la passion naissante d'un écrivain pour une mystérieuse poétesse récemment installée à Newford. Mais l'homme (et ses fêlures) est-il tombé amoureux d'une belle femme ou d'une forêt de mots — séductrice beaucoup plus brutale s'il en est ?
« Le Faiseur de pluie » de Mary Rosenblum est un texte d'une rare richesse, très évocateur. Alors que la sécheresse étrangle une petite ville de l'Ouest américain, voilà qu'arrive un faiseur de pluie, un étrange personnage, assez sympathique, qui vit en marge de l'humanité. L'événement est raconté par un adolescent qui a la capacité de voir les fantômes. Rosenblum, dont c'est la première publication en France me semble-t-il, signe là un texte extrêmement allusif, qui parie sur l'intelligence de ses lecteurs. Une autre réussite majeure tout a fait digne d'un Grand Prix de l'Imaginaire.
« Mater Clamorosum » de Catherine Dufour, avant-dernier texte de l'anthologie, est un étonnant conte macabre servi par un style impeccable. Cette histoire d'enfant emmuré vivant dans une pile de pont fleure bon le mariage des frères Grimm et d'Edgar Allan Poe et s'impose comme un pur joyau d'émotions noires.
Quant aux huit autres textes, je me contenterai de citer le texte d'Harry Morgan, de noter l'intéressante tentative de Léa Silhol, « Un Parfum de Malicore ». Une fois de plus, Silhol refuse de comprendre la nécessité de l'épure stylistique mais n'en demeure pas moins capable, par endroits, d'être d'une pertinence littéraire ahurissante. Et puis, soulignons l'apparition d'un petit nouveau, Karim Berrouka, dont « Le Siècle des lumières » est loin d'être exempt de défauts tout en restant parfaitement passionnant. Un nom à suivre et, en fin de compte, un ouvrage plus que recommandable.