Après Jésus Vidéo (2001) et En panne sèche (2007), Andreas Eschbach nous revient avec un nouveau gros thriller lorgnant vers la science-fiction, couronné en Allemagne par le prix Kurd Laßwitz 2012 (comme les deux romans susnommés, et la moitié des œuvres de l’auteur…).
Au centre de l’intrigue de Maître de la matière, deux personnages, Hiroshi et Charlotte, qui ne vont cesser de se croiser au fil des années. Lui, japonais, est un frêle garçonnet suffisamment doué de ses mains (et de sa tête) pour construire tout ce qu’il veut, et a eu une idée pour rendre riche tout le monde. Elle, française, est la fille d’un ambassadeur pourvue du don de connaître le passé des objets en les touchant. Agés de dix ans, et alors que leur milieu respectif les oppose, ils se rencontrent à l’ambassade de France à Tokyo avant de se perdre de vue… et de se retrouver fortuitement à Boston, sur les campus du MIT et de Harvard. Tandis que Charlotte, étudiante en archéologie, continue d’évoluer dans les hautes sphères, Hiroshi trace son sillon dans la robotique. Ils se perdent à nouveau, mais se retrouvent une nouvelle fois sur une île de l’océan Arctique, au nord de la Sibérie, où vient d’avoir lieu un phénomène inexplicable dans l’état actuel des technologies…
L’idée géniale qu’a eu Hiroshi à l’âge de dix ans, c’est de créer des robots pour effectuer toutes les tâches pénibles. Avec le temps, il a développé son concept et tente de créer des essaims de nanorobots auto-réplicants. Pour devenir, non pas maître de l’univers, mais maître de la matière. Sans succès. Et voilà que sur cette île glacée, Charlotte et une équipe de climatologues ont mis à jour quelque chose qui s’apparente aux travaux d’Hiroshi. Sauf que ce dernier n’y est pour rien… Et que ce quelque chose, d’origine inconnue, se révèle terriblement dangereux.
L’histoire se déroulant sur une vingtaine d’années et plusieurs continents, la pose des jalons occupe tout de même les deux premiers tiers du récit, et il faut donc attendre le dernier pour que le roman décolle enfin. Néanmoins, les lecteurs s’attendant à être propulsé dans la stratosphère en seront pour leur frais. Comme avec ses précédents thrillers, Andreas Eschbach garde les pieds sur Terre et ne se focalise pas sur les thèmes proprement science-fictifs ou prospectifs (le voyage dans le temps pour Jésus Vidéo, l’après-pétrole pour En panne sèche). On peut en éprouver quelques regrets, car les perspectives entrouvertes sur l’avenir, la vie dans l’univers et la lointaine préhistoire humaine sont des plus passionnantes, et auraient sûrement mérité de plus amples développements. Au lieu de quoi, notre auteur a choisi de centrer son roman sur les personnages — surtout Hiroshi, délaissant quelque peu Charlotte et son étonnant don. Et là où les protagonistes de textes comme Jésus Vidéo ou Le Dernier de son espèce manquaient parfois d’un soupçon de naturel, ceux de Maître de la matière sonnent juste. De telle sorte que les chassés-croisés amoureux, prépondérants dans la première partie du roman, parviennent à ne pas lasser. Sans omettre des pistes de réflexion sur la richesse, les (in)égalités et les atavismes humains. Jamais plombant malgré son pessimisme certain, Maître de la matière se dévore d’une traite. Bref, une lecture hautement recommandable.