Quiconque ouvrirait Mars, avec à l'esprit l'idée que Ben Bova est un auteur de hard science, verrait surgir le spectre de la trilogie de Kim Stanley Robinson. Pour ma part, j'y suis entrée à reculons, il faut bien l'avouer… et je l'ai terminé à regret. L'argument est simple : un groupe de colons de diverses nationalités est envoyé sur Mars pour une première exploration. Une moitié d'entre eux descend à la surface tandis que la seconde reste en orbite pour jouer les doublures potentielles et se pencher sur Phobos et Deimos. Jusque-là, rien de très original. En fait, c'est la façon dont cette trame est développée par Bova qui est intéressante. Son récit se penche sérieusement sur les problèmes psychologiques rencontrés par les colons, soit dans leur rapport à la planète rouge, soit, de façon peut-être plus passionnante, dans leurs rapports interpersonnels. Le roman est construit autour d'un va-et-vient constant entre le présent de l'exploration et un passé terrestre, dans lequel se mélangent épisodes de la période d'entraînement et de sélection des explorateurs, fragments d'histoires personnelles et récit des démêlés politiques qui président au départ de la mission. Sur ce dernier point, l'analyse que fait Bova du rôle des gouvernements et de l'importance des jeux politiques dans une mission qui devrait — dans l'absolu — avoir un but purement scientifique est tout à fait pertinente.
Par ailleurs, l'auteur a fort intelligemment choisi de s'attacher à un personnage en particulier, en l'occurrence celui de Jamie, le géologue du groupe de surface, le Peau-Rouge, le « pseudo-américain » recruté à la dernière minute, le fauteur de trouble patenté. Attachant, scientifique passionné en lutte contre l'invasion de la politique sur le domaine scientifique, il est à lui seul le symbole de l'idéal défendu par l'auteur. Son statut de « héros » renforce l'aspect romanesque de l'œuvre, à la manière du roman de formation. Le style d'écriture est limpide et, si l'on sent un net désir de vraisemblance scientifique, le ton n'est jamais pédant — il n'est pas nécessaire d'être docteur en biochimie pour comprendre le texte. Et de fait, au total, si l'on met tous ces éléments bout à bout, on est tenté de dire que Bova rejoint ici cette S-F un peu vieillotte, à coup sûr évocatrice de grand voyage, de dépaysement, d'horizons changeants, en un mot : l'Anticipation. Une sorte de Tour du monde en quatre-vingt jours des temps modernes, si vous voulez.
Impression renforcée par le fait que Mars n'est pas dénué de certaines naïvetés. De crainte de tuer le suspense, on s'abstiendra d'en donner la liste. Mais sachez au moins que les cent dernières pages ne sont peut-être pas ce qu'elles pourraient — ou devraient — être. Disons que l'auteur tente de mener de front un roman de hard science et une esthétique que l'on serait tenté de qualifier de bradburyenne. Si si, comme je vous le dis : il suffit de constater que le roman s'ouvre sur le récit d'un mythe des « Anciens » — et fera fréquemment référence à des récits de ce type — pour s'en convaincre. Évidemment, l'ensemble grince parfois un peu, d'autant que la fin confine au space opera. Mais honnêtement, soit vous aimez les « happy end », et alors tout est parfait, soit vous considérez que ce choix est entièrement guidé par un désir de « boucler » le roman en parfaite corrélation avec sa problématique politique sous-jacente, laquelle faisait de ce voyage une sorte de message publicitaire interplanétaire pour les gouvernements en place. Ce qui signifie que les râleurs tenants de la hard S-F purement scientifique n'auront qu'à réfléchir sur une étude comparée entre les formes du récit de Bova et la structuration d'une campagne publicitaire. La psychologie du marketing de masse est aussi une science. Et toc !
Pour conclure, on se contentera d'affirmer que Mars n'est pas une somme exégétique sur la planète rouge et les conditions de sa colonisation — encore moins de sa terraformation. Son auteur n'a pas oublié que la science-fiction est un genre littéraire. Alors, même si ce n'est pas un texte à la pointe de la modernité, ni un de ces romans fondateurs de « dynasties » — genre Dune ou Neuromancien —, on passe un fort bon moment de lecture.