Dominique HAAS, Kim Stanley ROBINSON
POCKET
672pp - 10,30 €
Critique parue en juillet 2003 dans Bifrost n° 31
Mars la Rouge, le premier tome de la « trilogie martienne » de Kim Stanley Robinson, vient de paraître en deux volumes chez Pocket, dans une édition augmentée. Il décrit de façon hyperréaliste les étapes de la colonisation de Mars, ainsi que les enjeux politiques et sociologiques de l'entreprise. Si, durant le voyage, les dissensions entre les Cent Premiers, scientifiques triés sur le volet, sont peu marquées, elles se radicalisent au fur et à mesure de la progression de la terraformation. Le désir de préserver la beauté sauvage de la planète les divise en plusieurs factions, depuis les adeptes de la terraformation dans le respect de valeurs écologiques jusqu'aux opposants à la moindre modification climatique.
Le projet utopique de faire de Mars un monde basé sur la fraternité et la solidarité butte aussi devant l'afflux trop important de colons soumis à de rudes conditions d'existence à leur arrivée. Il s'effrite sous la pression de la Terre minée par la surpopulation et le manque de ressources, qui souhaite récupérer les bénéfices de ses investissements et dicter ses conditions sans prendre en compte les réalités du terrain, manipulée par les transnationales appliquant sans cesse sa logique du profit effréné. Entre John Boone, héroïque astronaute de la première expédition martienne, qui refuse la tutelle terrienne, et Franck Chalmers, plus pragmatique, qui cherche à composer avec la Terre, l'amitié se double d'une rivalité feutrée. Quand commence la révolution, c'est un rêve qui s'écroule. La conquête de Mars débute par un regrettable désastre.
D'autres figures marquantes émergent dans ce roman, comme Maya Toitovna, affectivement instable, Arkady Bogdanov, qui, depuis Phobos, incite à la rébellion, ou encore Hiroko Ai qui entre en clandestinité. Les relations entre les protagonistes, toujours plus complexes à mesure qu'on apprend à les connaître, accroissent l'effet de réel suscité par le soin minutieux du détail que Robinson a apporté à l'ensemble de cette œuvre aussi intelligente que forte, où la réflexion le dispute à la passion.
On ne peut être qu'emporté par le souffle évocateur de Robinson qui a mis dix-sept ans à bâtir cette formidable épopée, récompensée par le Nebula et le British SF Award, et dont Cameron projette de réaliser un feuilleton télévisé. La « Trilogie de Mars » est un chef-d'œuvre à côté duquel il ne faut pas passer.