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Les critiques de Bifrost

Mars

Mars

Asja BAKIC
AGULLO
160pp - 12,90 €

Bifrost n° 104

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

Encore largement inconnue des lecteurs français Asja Baki? est une poétesse bosniaque, aujourd’hui installée en Croatie. L’heureuse initiative des éditions Agullo de traduire son premier recueil de nouvelles, Mars, initialement paru en 2015, nous donne à entendre une voix originale de la jeune SF européenne, autant qu’un écho inattendu du dernier conflit qui a ravagé les Balkans voici à peine trente ans, lorsque l’auteur était enfant. Sans surprise, la plupart des dix nouvelles qui composent le recueil s’avèrent dystopiques, souvent à la lisière de l’absurde. On pense parfois aux textes les plus sombres d’un Dino Buzzati.

Trois nouvelles s’assument de pure SF : « Le Monde en bas », seule fiction martienne du recueil, nous présente une colonie pénitentiaire où la Terre a exilé tous ses écrivains, et l’inquiétante puissance d’un petit livre – Mars, bien sûr. « Asja 5.0 » – Asja ? tiens donc ? – évoque le clonage d’un écrivain qui doit réinventer la pornographie dans un monde qui a oublié la sexualité. Enfin, « Abby », d’inspiration plus dickienne, variation sur le thème du robot qui ne se sait pas robot. Un quatrième, « L’Hôte », hésite entre SF et fantastique, à moins que ce ne soit une métaphore de la puissance du don littéraire… Deux autres poursuivent la mise en abyme pour traiter aussi de livres, d’écriture et de plagiat : « Excursion dans le Durmitor », décrit une sorte de Purgatoire littéraire, également sur un mode fantastique ; et « Passions » un pur cauchemar d’écrivain.

« Le Trésor enterré », « Les Thalles de madame Lichen » et « Carnivore » sont des contes cruels, au décor presque réaliste mais à l’ambiance pesante, là encore à la limite du fantastique. Plus réaliste et plus dur encore, le texte le plus fort du recueil est peut-être « La Route vers l’ouest », qui nous raconte à hauteur d’enfant les rationnements et l’attente de l’exil dans une ville européenne fantôme, dévastée par la guerre…

Au total, un recueil transfictionnel (pour emprunter le terme à Francis Berthelot) très homogène – trop, même, peut-être, avec une tonalité assez uniforme entre des nouvelles très différentes (mais seul un lecteur du croate pourrait nous dire si la responsabilité en incombe à l’auteur ou à son traducteur) – et la rencontre d’un imaginaire puissant qui réussit paradoxalement à faire émerger comme un espoir de rédemption (par les femmes, protagonistes de toutes les nouvelles ?) d’une accumulation d’horreurs. À découvrir.

Éric PICHOLLE

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