Mater Terribilis est le huitième roman consacré aux aventures de Nicolas Eymerich, et le deuxième inédit publié par la Volte après Le Château d’Eymerich. On y retrouve avec un plaisir non dissimulé notre anti-héros d’inquisiteur, confronté une nouvelle fois à des phénomènes pour le moins étrange, au long d’une intrigue complexe dont les ramifications temporelles, ainsi qu’il est d’usage dans la série, dépassent le seul XIVe siècle.
L’aventure se déploie en effet sur trois époques. En 1362, Nicolas Eymerich, souffrant d’un menu différend avec le pape et les dominicains d’Aragon, qui l’ont déposé de sa charge, est amené à enquêter sur la disparition de deux inquisiteurs dans la région de Cahors, alors sous occupation anglaise. Accompagné de deux prêtres (larbins), il doit faire face à des manifestations nécessairement sataniques : brumes persistantes, nuées d’insectes géants, distorsions temporelles… et l’on ose même lui brandir sous le nez un apocryphe de saint Thomas d’Aquin supposé détenir la clef de la victoire des Français sur la perfide Albion !
Quelques décennies plus tard, au début du XVe siècle, la guerre de Cent Ans fait toujours rage. Et Valerio Evangelisti décide de s’attaquer à un gros morceau, puisqu’il intègre dans son univers rien de moins que l’odyssée de Jeanne d’Arc, depuis sa rencontre avec le « gentil Dauphin » jusqu’à sa fin tragique… le tout envisagé essentiellement à travers les yeux de son sulfureux compagnon Gilles de Rais.
Enfin, à notre époque et dans un futur proche, nous assistons, au travers de brefs « cauchemars », à la mise en place d’un intrigant instrument de contrôle des rêves ainsi qu’au conflit entre les néo-nazis de la RACHE et l’Euroforce, faisant s’opposer des créatures improbables, mosaïques zombies et super-soldats…
Bien entendu, ces trois trames n’en font en définitive qu’une. Cependant, si le lien est évident et bien justifié entre les deux parties médiévales, on peut trouver la partie contemporaine et futuriste quelque peu redondante, et à vrai dire guère convaincante. Ces « cauchemars » sont trop décousus pour véritablement captiver le lecteur, qui ne goûtera en outre pas nécessairement les quelques relents de complotisme et de technophobie qui en émanent, pas plus que la naïve, voire dangereuse, utopie cyberpunk qui en découle.
Non, l’intérêt est ailleurs, à l’époque de la guerre de Cent Ans, et réside dans la confrontation entre l’inquisiteur Nicolas Eymerich et la plus satanique des créatures : la femme. Tel est en effet le thème essentiel de Mater Terribilis (hélas passé à la moulinette d’une pseudo-psychanalyse jargonneuse, moins séduisante que les fumisteries théologiques d’alors) : le rapport du masculin au féminin, et la place de la femme dans l’ordre du monde. Et l’on avouera sans peine que l’idée d’opposer, par-delà les années, Eymerich à Jeanne d’Arc, a quelque chose de particulièrement séduisant…
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que Valerio Evangelisti joue des archétypes (on ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser ici à la psychosphère). Le problème, c’est qu’à pousser le bouchon trop loin, il en vient à sombrer dans la caricature. Bizarrement, Jeanne d’Arc et Gilles de Rais, à ce petit jeu, s’en tirent plutôt bien, ce dernier étant même probablement le personnage le plus charismatique du roman, tandis que la Pucelle d’Orléans, démystifiée, offre un joli cas clinique. Il en va tout autrement, hélas, de notre inquisiteur préféré… Mais pourquoi est-il si méchant ? Certes, c’est en bonne partie pour cela qu’on l’aime, mais on peut légitimement trouver, cette fois, que l’auteur en fait trop. Ce qui nuit en outre à la crédibilité de l’intrigue… C’est d’autant plus regrettable que Mater Terribilis ne manque pas d’ambition, évoquant à cet égard les plus belles réussites de la série, Le Mystère de l’inquisiteur Eymerich et Cherudek. Hélas, l’exécution n’est probablement pas à la hauteur du projet, et donne une triste impression de bâclé.
Certes, tout n’est pas à jeter dans ce huitième épisode — qui se lit malgré tout assez bien, ou du moins sans que l’ennui ne s’installe : Valerio Evangelisti est un conteur aussi brillant qu’astucieux qui n’a à cet égard aucune leçon à recevoir. C’est déjà beaucoup, assurément. Mais on était en droit, eu égard à l’ambition affichée du roman, d’en attendre un peu plus qu’un simple divertissement pas trop mal ficelé, caricatural mais prenant ; quelque chose de plus stimulant, en somme, comme pouvaient l’être les meilleurs romans de la série. Aussi, c’est surtout d’un point de vue relatif que Mater Terribilis donne une impression d’échec : sans être un mauvais livre pour autant, il se montre frustrant, parfois même agaçant, et bien inférieur à ce que l’auteur avait pu livrer auparavant. Un Nicolas Eymerich plutôt faible, donc, qui ne convaincra totalement que les fans les plus acharnés de l’inquisiteur aragonais.