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Les critiques de Bifrost

Méditations sur la Terre du Milieu

Poul ANDERSON, Michael SWANWICK, Esther M. FRIESNER, Harry TURTLEDOVE, Terry PRATCHETT, Robin HOBB, Ursula K. LE GUIN, Diane DUANE, Douglas A. ANDERSON, Orson Scott CARD, Charles DE LINT, Lisa GOLDSTEIN, Glenn HURDLING, Terri WINDLING, Stéphane MARSA
BRAGELONNE
306pp - 25,00 €

Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76

Prenez ce que Karen Haber considère comme « les maîtres de la fantasy ». Demandez-leur ce qu’ils pensent de Tolkien et ce que représente son œuvre à leurs yeux : vous voilà avec les Méditations sur la Terre du Milieu. Le principal écueil de ce type de livre-hommage, c’est la dimension répétitive. Pour prestigieux que soient les auteurs ici réunis (on citera pêle-mêle Martin, Pratchett, Anderson, Le Guin, Swanwick, Card ou encore Hobb, auxquels s’ajoutent pour la présente édition une poignée de romanciers français), tous ne se sortent pas avec le même brio de l’exercice imposé et du schéma « j’ai lu Tolkien adolescent, puis relu, et relu encore, et ma vie s’en est trouvée bouleversée »… De fait, et sans surprise, on en apprend ici davantage sur les auteurs sollicités que sur l’objet de leur sollicitation : questionnez n’importe quel écrivain sur l’œuvre d’un collègue, et dans la plupart des cas il vous parlera d’abord de lui. Ce qui ne signifie pas que ce soit toujours sans intérêt, bien entendu. A ce titre, on sortira du lot l’essai d’Ursula Le Guin, qui aborde la rythmique très particulière du style littéraire de Tolkien, George R.R. Martin, qui se fend d’une courte préface limpide synthétisant l’apport tolkienien — « On m’a déjà entendu dire que dans la fantasy contemporaine, le décor devient un personnage en soi. C’est à Tolkien qu’on le doit. » —, ou Harry Turtledove, qui, en bon historien, souligne combien la littérature de fantasy dans son acception moderne est une littérature sinon réactionnaire, en tout cas conservatrice, et combien c’est sans doute à cela qu’elle doit une bonne part de son succès — « [La fantasy] est une ancre dans une mer déchaînée. Parfois, ça peut aussi être une béquille. » Orson Scott Card livre aussi une analyse (un poil péremptoire) des travaux littéraires de Tolkien, revenant sur l’aversion de l’allégorie chez ce dernier et louant la « littérature d’évasion » pour ce qu’elle est (un outil de communion) de manière somme toute convaincante, de même que Terri Windling, qui, égale à elle-même, explore les contes, leurs ressorts, leur cruciale importance, avec un brio aussi personnel que magistral. Au rang des textes plus personnels, justement, on citera enfin la très belle et touchante contribution de Michael Swanwick, qui fait écho au récit de l’auteur figurant au sommaire du présent Bifrost. Cet ouvrage a pour nous, lecteurs francophones, une conséquence inattendue : il nous rappelle combien la fantasy est un monde anglophone, et combien, pour ce monde anglophone, le reste du monde, justement, n’existe pas (excepté pour Windling). Aussi ne peut on que saluer l’initiative de l’éditeur français du présent ouvrage, Stéphane Marsan, des éditions Bragelonne, qui a prolongé l’exercice d’hommage auprès de certains auteurs bien de chez nous (Lœvenbruck, Gaborit, Colin, Genefort et Ange). Las, l’enfer est pavé de bonnes intentions : aucune contribution inoubliable à signaler de ce côté. Pire, lorsqu’on constate que plus aucun de ces auteurs ou presque n’écrit aujourd’hui de fantasy (quand il écrit seulement encore…), voilà qui en dit long sur l’état du genre en France et nous renvoie au caractère décidément anglophone du domaine. Bref…

Nous voilà au final avec un recueil d’articles très disparate, fort joliment illustré par maître John Howe mais souffrant d’un format carré peu pratique. A vous de voir si deux textes formidables (Swanwick et Windling) et une poignée d’autres intéressants (Card, Turtledove, Le Guin) suffisent à vous faire craquer 25 euros. En ce qui me concerne, j’aurais plutôt tendance à passer mon tour…

Olivier GIRARD

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