Martine DESJARDINS
L'ATALANTE
208pp - 15,50 €
Critique parue en octobre 2023 dans Bifrost n° 112
Après Faunes de Christiane Vadnais, publié de ce côté-ci de l’Atlantique en février, les éditions L’Atalante nous proposent cet été la découverte d’un autre roman paru initialement au Québec. Comme son titre l’indique sans ambiguïté, Méduse s’intéresse non pas aux plus gélatineux des cnidaires, mais à la figure de la Gorgone. Encore un roman d’inspiration mythologique ? De fait, on a vu ces dernières années fleurir bon nombre de livres, francophones ou traduits, réinventant la mythologie gréco-romaine sous un jour féministe, de Lavinia d’Ursula K. Le Guin (L’Énéide revue par le prisme d’un personnage très secondaire de l’épopée) à Pénélope, reine d’Ithaque de Claire North (centré sur les années d’attente de l’épouse d’Ulysse). Ici, Martine Desjardins prend le parti d’inscrire le mythe dans un cadre plus contemporain, quand bien même lieux précis et époque demeurent incertains, rattachant le roman au registre de la fable.
Méduse, c’est ainsi qu’on surnomme cette gamine aux yeux si particuliers que tout est fait pour les garder cachés sous une lourde frange de cheveux. Des yeux que l’enfant qualifie de « Diffor-mités », de « Monstruosités », de « Dégoûtanteries », entre autres surnoms dépréciatifs. Opprobre de sa famille, elle est finalement envoyée dans un pensionnat reculé, l’Athenæum. L’établisse-ment est dirigé par une femme, qu’accompagne toujours une vieille chouette, et ses pensionnaires, toutes affligées de divers handicaps, deviennent, une fois par mois, les jouets des prétendus bienfaiteurs de ce lieu lors de soirées où ils laissent libre cours à leurs grotesques perversions. Dès lors, Méduse n’aura de cesse de chercher à accéder à la bibliothèque de l’Athenæum, premier pas vers sa liberté. D’autant que la jeune fille commence à découvrir les pouvoirs de ses yeux…
Mêlant le conte mythologique et le Bildungsroman au fil de chapitres aussi tendres que des uppercuts, Méduse propose une variation sur le thème de la Gorgone, à la fois macabre et grotesque, et surtout puissamment féministe et féminine. Narré à la première personne, le récit se montre aussi saisissant qu’asphyxiant et, qu’on y adhère ou non (notamment sur l’explication de la nature des yeux de la protagoniste, ou l’accumulation de leurs pouvoirs spéciaux), est de ceux qui restent durablement en mémoire.