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              RIVAGES
               224pp                -                21,00 €             
Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119
En 2003, Brian Evenson frappait un grand coup littéraire avec sa novella The Brotherhood of Mutilation. Six ans plus tard, il donnait de ce texte une version longue avec Last Days (sorti en français sous le titre La Confrérie des mutilés, au Cherche Midi, en 2008, mais reparu en poche chez Rivages).
On y suivait les traces de Kline, un détective amputé du bras à la suite d’une affaire qui avait mal tourné, engagé pour trouver le coupable du meurtre du fondateur d’une secte inconnue jusqu’alors : La Confrérie des mutilés. D’investigations en interrogatoires (soumis à des contraintes aussi absurdes qu’invincibles), Kline finissait par découvrir l’identité du meurtrier. Surtout, il se trouvait contraint de plonger dans un univers délirant et fanatique, un monde dans lequel les croyants amputent volontairement des parties de leur corps — le plus de parties étant le mieux, signe de foi et donc d’influence supérieures.
Le monde clos des mutilés est religieux, paranoïaque, violent, organisé suivant une logique aussi démentielle qu’implacablement poussée jusqu’à son terme (Kline, privé d’accès au corps de la victime comme aux lieux ou aux témoins, devra, par exemple, accepter lui-même des mutilations pour gagner la confiance et le respect nécessaires à ses investigations).
Dans la partie de Last Days qui est un ajout aux pages de Brotherhood of Mutilation (vous suivez ?), Kline, affaire résolue, se voit confronté à une autre branche du culte, encore plus fanatisée. Obligé à se transformer encore et encore par ceux qui l’ont kidnappé, Kline parvient à s’échapper in fine. Il vainc, fuit le culte, mais est transformé à jamais par ces épreuves, à la fois physiquement et mentalement.
Evenson, élevé dans une famille mormone et qui fut même prêtre de cette église avant de la quitter avec pertes et fracas, illustrait avec sa novella ce qu’il avait connu du fanatisme religieux, de la logique hors-sol des règles et disciplines, de la dépossession volontaire de soi, du sacrifice corporel qui est l’une des exigences de la foi dans tant de religions (du jeûne à la mutilation en passant par toutes les formes variées de mortification).
Membre fantôme est une suite qu’Evenson donne aujourd’hui à Last Days. On y voit un Kline à la dérive forcé de s’impliquer une fois encore quand, à la demande insistante des Paul (un sous-groupe), il doit enquêter sur une branche schismatique secrète qui assassine les membres de la secte et les mutile post-mortem (ce qui est pour eux incompréhensible). Kline reprend donc, à son corps défendant, son enquête aux marges de la folie religieuse et découvre, ce faisant, une coterie de fanatiques qui pensent pouvoir accéder à l’au-delà par des expériences de quasi mort. Il faudra à Kline une grande force de caractère pour résister tant à la tentation de l’embrigadement qu’aux épreuves que lui impose ce nouvel assortiment de foldingues.
Face à Membre fantôme, deux possibilités. Soit on n’a pas lu ses devanciers et je ne crois pas qu’on puisse s’intéresser à ce qui est une suite directe, ou même la comprendre. Soit on les a lus et alors on ne trouvera rien de bien neuf ni de bien intéressant dans cet appendice. Une suite inutile, en somme.
Éric JENTILE