Alastair REYNOLDS
BRAGELONNE
264pp - 6,90 €
Critique parue en avril 2023 dans Bifrost n° 110
Le space opera, c’est très souvent le conflit : passé, en cours ou à venir ; entre individus, entre factions ou entre civilisations ; pour des ressources, pour des idées ou pour la survie. Or, les conflits génèrent leur propre mémoire à plusieurs facettes : littéraire, bien sûr, le lieu commun consistant à comparer toute épopée à L’Iliade ou au Mahabharata… mais aussi, et surtout, traumatique, puisque les soldats portent souvent dans leur chair et leurs souvenirs les cicatrices de ce qu’ils ont vécu.
Mémoire de métal est une histoire de conflits multiples dont l’articulation se dévoile peu à peu. En arrière-plan, le conflit entre deux civilisations humaines : d’un côté, les Mondes Centraux, et de l’autre les Périphériques. Leur héritage en partie commun souligne à quel point cette confrontation est aussi absurde que cruelle. Cet arrière-plan détermine la rencontre séminale entre la narratrice nommée Scur et son ennemi Orvin, criminel de guerre désireux de saisir jusqu’au bout les opportunités de raffiner son sadisme. Cette rencontre, à l’origine de la mémoire traumatique de Scur, la met dans la position unique de comprendre et de résoudre le problème qui lui est posé quand – un laps de temps indéterminé après qu’elle a pratiqué sur elle-même une opération sommaire pour se défaire du dispositif mortel implanté par Orvin – elle se réveille à bord d’un vaisseau de croisière endommagé où se trouvent des soldats des deux camps mais aussi des civils. Que s’est-il joué pendant son inconscience ?
La mémoire des événements conditionne la continuité de la civilisation : que faire quand les instruments ordinaires de cette continuité deviennent peu fiables ? En effet, les mémoires du vaisseau sont corrompues et il devient urgent d’en sauvegarder le contenu avant qu’elles ne défaillent tout à fait. La durée de vie de l’information ayant une relation de proportionnalité inverse à la surface où elle est stockée, une solution consistera donc bel et bien à passer de l’informatique… à l’écriture, donnant une belle justification au titre français du texte. La survenue pendant l’hibernation de Scur d’un nouveau conflit – d’une tout autre nature que celui où elle s’était trouvée engagée – explique en effet l’isolement du vaisseau, et montre que ses occupants sont, malgré leur position précaire, bien placés pour assurer un nouveau départ aux rameaux dispersés d’une civilisation humaine à présent effondrée.
Ce texte réalise donc une synthèse qu’il est difficile de ne pas trouver parfaite entre ses différentes dimensions. Il s’agit d’un space opera récréatif, aux énigmes non triviales mais dont la résolution réjouit, et qui ne manque pas de gimmicks du genre – il serait trop long de dresser la liste des péripéties pouvant affecter les passagers d’un vaisseau perdu dans l’espace ! Il s’agit aussi, et surtout, d’une belle illustration des principes et des limites de la mémoire, qu’elle soit humaine ou artificielle : l’outil parfois s’émousse… et il arrive même qu’il se détériore au point qu’il soit nécessaire de le remplacer. L’ingéniosité humaine permet à la fois de résoudre les énigmes et les incidents techniques : c’est aussi ce que nous rappelle Mémoire de métal, et au fond… jusque depuis son titre.