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Les critiques de Bifrost

Critique parue en juillet 2016 dans Bifrost n° 83

La métaquine. Molécule miracle, psychotrope au spectre large, le produit semble une véritable panacée chimique pour les laboratoires Globantis qui espèrent en tirer un maximum de profit sans s’embarrasser de ses éventuels effets secondaires. On ne compte plus les usages d’un médicament tellement efficient qu’il échappe aux prévisions les plus optimistes de ses concepteurs. La métaquine réconforte les anxieux, soigne les TOC, guérit les psychoses aigües. Elle apaise aussi les troubles bipolaires, rétablissant les fonctions synaptiques endommagées, contourne les blocages ou inhibitions. Elle calme les bouffées délirantes des schizophrènes et combat même les addictions les plus retorses. Mais surtout, elle facilite la concentration des enfants hyperactifs, les transformant en agneaux dociles, en éponges prêtes à absorber les connaissances sans rechigner. Bref, la métaquine crée des individus parfaitement ajustés à la réalité de la société.

Responsable du marketing chez Globantis, Curtis ne doute pas un seul instant du succès de son plan de développement. C’est le client qu’il faut atteindre directement, quitte à zapper l’étape institutionnelle. L’argument ne laisse en tout cas pas insensible Clothilde, une élue très remontée contre le lobbying outrancier de l’entreprise pharmaceutique. Il inquiète fortement aussi Sophie, spécialiste du cerveau à la retraite qui s’est prise d’affection pour Régis, le voisin du dessus. D’une imagination débordante, le petit garçon a le seul tort de ne pas être assez attentif en classe, ce qui fait de lui une cible idéale pour la molécule. Heureusement, il peut compter sur son beaup, Henri, pour s’opposer au traitement. Le bougre a déjà recueilli sa mère Aurélia, une cybertox au stade terminal. Hélas, il flirte avec le burn-out et les envies de meurtre. Dans un monde aux contours incertains, où les faux-semblants abondent, malgré les avertissements de Ferdinand A. Glapier, le lanceur d’alerte omniscient du Web, tous semblent victimes du même tropisme. Une affinité irrésistible pour les collines boisées de La Guillane qui agit comme un attracteur étrange sur leur conscience.

Bien connu des amateurs du genre, François Rouiller ausculte depuis quelques années la science-fiction et ses représentations. Les plus chenus ont peut-être lu son essai Stups & fiction et le guide qu’il a consacré à la SF chez Les Empêcheurs de penser en rond. Le voici qui passe de l’autre côté du miroir pour nous livrer avec Métaquine® un récit tenant davantage du roman coupé en deux que du diptyque.

Au-delà de la simple dénonciation du milieu pharmaceutique, l’auteur suisse réveille de multiples réminiscences, mettant son érudition au service de son propos. En lisant Métaquine®, on pense à la « Trilogie Chronolytique » de Michel Jeury, à Nancy Kress ou à Greg Egan. Mais au jeu des références, c’est bien entendu Philip K. Dick qui s’impose en raison de thématiques assez proches des obsessions de l’auteur américain. Les fables de la gnose et du catharisme entrent ainsi en résonance avec les simulations hyperréalistes des ordinateurs à qubits, pendant que la physique quantique se coltine aux neurosciences pour redéfinir la conscience et la perception du réel. François Rouiller s’aventure sur un terrain aux frontières mouvantes, armé des outils de la science-fiction, pour susciter ce vertige spéculatif si familier à l’amateur du genre. Il bouscule nos certitudes sur le réel à grand renforts de superpositions d’univers, d’état quantique et de conduction synaptique, transformant nos crânes en boîte de Schrödinger. Et il nous abandonne, épuisé mais heureux, au terme de 800 pages d’un crescendo constant et maîtrisé.

Avec Métaquine®, François Rouiller met sur la sellette le fameux cogito de Descartes, en faisant entrer dans l’équation les neurosciences. Il propose ainsi au lecteur de quoi phosphorer longtemps sur la nature de la réalité : un remède contre l’ennui à ne pas rater, assurément.

Note : On renverra les convaincus vers le site suivant, histoire de prolonger l’expérience : http://www.metaquine.com/

Laurent LELEU

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