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Les critiques de Bifrost

Mexican Gothic

Mexican Gothic

Silvia MORENO-GARCIA
BRAGELONNE
360pp - 8,90 €

Bifrost n° 104

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

La cousine de Noemí, Catalina, envoie une lettre à sa famille où elle parle d’empoisonnement et de fantômes, où elle demande qu’on la sauve d’un danger imminent. Catalina s’est mariée à un bel Anglais, Virgil Doyle, qui vit dans les montagnes brumeuses du Mexique, dans une région anciennement riche, mais qui a perdu de sa superbe. Tout comme la propriété des Doyle (doit-on voir dans ce patronyme un hommage au Chien des Baskerville ?). À la demande de son père, dont on sent bien qu’il a désapprouvé ce mariage, Noemí prend le train pour rejoindre sa cousine. Elle a accepté ce déplacement imprévu, qui la contrarie, car son père a enfin cédé et lui a promis en échange ce qui tenait le plus à cœur à la brillante jeune femme : pouvoir continuer ses études d’anthropologie dans un cursus mixte. Sur place, les membres de la belle-famille de Catalina informent Noemí que sa cousine a été très malade, qu’elle est affaiblie, qu’elle se remet doucement et qu’il ne faut pas trop la fatiguer. Évidemment, la vérité est toute autre.

Mexican Gothic est une sorte de Rebecca mexicain, un récit d’angoisse progressive chevillé à une maison sinistre, vibrante de menaces anciennes, tissée de mensonges, perdue dans un Mexique lapidé, éreinté, à mille lieues des clichés habituels : mariachis, tequila, tortillas et puerco pibil. Mexican Gothic parle du pouvoir des hommes sur les femmes, de la malédiction d’être une femme intelligente ou indocile. Il en parle bien, avec subtilité et conviction. Sa dimension fantastique ne m’a pas semblé particulièrement lovecraftienne, contrairement à ce qu’affirme le Guardian cité en couverture, mais il y a sans doute un débat possible sur la question.

Et maintenant, la douche écossaise : vous êtes bien chauds, voilà venu le moment du coup de froid. J’ai commencé ma lecture en français, l’édition Bragelonne, donc, et au chapitre 4 j’ai basculé vers l’anglais, puisque j’avais reçu il y a un an ou deux le roman de la part de l’agent français de Silvia Morena-Garcia. En anglais, la langue est superbe, il y a une ambiance qui se dégage, une musique, une force narrative presque océanique ; Daphné du Maurier plane sur chaque page, c’est exactement ça, cette capacité à faire naître un malaise, petite touche par petite touche, à créer du suspense avec une tache de moisissure ou un mot déplacé, quand dérape une conversation qui pourrait être anodine. En français, ce n’est pas forcément une catastrophe, juste… ce n’est pas ça. Le ton, le rythme, la musique du texte, tout est écrasé, laminé, essoré. Et ça devient particulièrement douloureux dès qu’on compare l’original à sa traduction. Mélanie Fazi ou Sarah Gurcel auraient dû traduire ce roman. Ce n’est pas arrivé, c’est comme ça. Si vous le pouvez, privilégiez le texte original, magnifique.

Thomas DAY

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