Sous une couverture du plus vif écarlate orné d’un splendide cafard en relief avec un minuscule bonhomme sur le dos se présente l’ultime roman de feu Michael Crichton, qui nous a quittés en 2008, le laissant inachevé. Ce n’est pas parce que la poule aux œufs d’or n’est plus qu’il ne faut pas en couver les derniers. Auteur de best-sellers s’il en fut, spécialisé dans le technothriller au point d’en être littéralement l’incarnation, Michael Crichton ne se compare guère qu’à Tom Clancy ; à ceci près qu’il préfère le monde de l’entreprise à celui de l’Armée et du renseignement. Encore fallait-il lui trouver un remplaçant qui soit à la hauteur, susceptible de terminer l’ouvrage laissé sur le métier. Le choix de Richard Preston, qui a déjà plus que fait ses preuves en la matière, s’imposait comme l’un des plus pertinents.
Le roman dégage bien cette forte odeur de fabrique qui est l’apanage de ce genre d’ouvrage, pensé, conçu dès l’origine pour remplir le contrat avec le lectorat de masse et, par extension, en vue de son adaptation cinématographique. Ce type de roman est un produit, au sens commercial du terme. La personnalité des auteurs se retire autant que faire se peut. Crichton — et Preston — connaissent bien le monde de l’entreprise moderne et ont une grosse culture technoscientifique qu’ils exploitent. « Je vais vous raconter une histoire pleine de cloportes et d’asticots et vous allez aimer ça ! » Le pari n’est pas gagné d’avance. Il faut ce réel savoir-faire que Crichton et Preston maîtrisent parfaitement.
Ça marche. Oui. Mais on en vient à se demander si de tels auteurs sont bien des écrivains. S’ils font vraiment œuvre littéraire ? Comme l’auteur de « Montez vos placards vous-même », ils connaissent leur sujet, s’expriment avec précision dans une langue claire et intéressent leurs lecteurs. Cette littérature pratique mobilise des quantités d’auteurs professionnels qui gagnent ainsi leur vie sans pour autant être des écrivains. Cette littérature n’est pas littéraire. Et quantité de best-sellers ont la même odeur de colle et de sciure. Est-ce là l’avenir de la littérature populaire ? Peut-être bien. Espérons que non. Les marchands s’en accommoderaient fort bien et s’appuient sur des romans comme ce Micro pour affirmer que le livre est un produit comme les autres. La littérature, qu’elle soit populaire ou bourgeoise, ne demande pas l’effacement de l’écrivain derrière une prose insipide. La bonne bouffe, ce n’est pas la cuisine internationale ! Si l’art culinaire est un art, c’est bien parce qu’il permet d’exprimer une personnalité dans une créativité à nulle autre pareille. Il faut qu’il y ait une communication, voire une communion. Tout le monde se satisfait de la cuisine internationale comme des best-sellers : le contrat est rempli, certes, mais cela suffit-il ? Peut-être à passer le temps d’un vol entre deux restaurants d’aéroport, sonorisé avec quelques-uns des disques les plus ennuyeux de Brian Eno (Music for airports). Que reste-t-il au bout du compte ? Un tel livre a-t-il le pouvoir de nous changer un peu ? En garde-t-on des années durant un souvenir ému ? Non.
Dans ses meilleurs romans, Crichton s’emparait d’une idée sociale tout juste éclose et la poussait dans ses derniers retranchements, jusqu’à la retourner comme un gant. Pas cette fois. Ici, l’idée de base est qu’en soumettant des êtres ou des choses à des champs magnétiques extrêmes, il devient possible de réduire un homme à la taille d’une fourmi. Le postulat n’est pas davantage capillotracté que ceux de Sphère (de Gregory Benford) ou de Prisonniers du temps (du même Crichton). Une fois l’incrédulité suspendue sur ce postulat de départ, Crichton/Preston s’interrogent à savoir qui investit en attendant retour sur une telle technologie : la pharmacie et l’armée. Ceci posé, ça déroule. Un chef d’entreprise paranoïaque à souhait, des jeunes gens réduits et lâchés dans l’univers des insectes et des araignées…
Le contrat est rempli. Il ne devrait plus y avoir de roman de Crichton… bof !
L’écrivain est un créateur, un artiste. Le « à la manière de » est un exercice dont on se demande quel sens il peut avoir vis-à-vis de Michael Crichton qui apparaît davantage comme un excellent artisan qu’un artiste. Il construit, fabrique, grâce à son expérience et son savoir-faire indéniable mais ne crée point, pas vraiment. Du divertissement avec de la matière grise ? Peut-être, mais sans génie en tout cas. La littérature doit permettre au lecteur de s’enrichir en établissant une communication avec l’auteur par-delà l’espace, le temps et les cultures. Pas ce genre de roman. Ce n’est pas, mais alors pas du tout, comme ne plus avoir de livre de Roland C. Wagner, écrivain populaire s’il en fut. La disparition de Crichton n’altère malheureusement pas le potentiel global de la littérature ; elle n’engendre ni manque ni vide. Un autre — Preston — fera actionner le tiroir-caisse. Un moment agréable mais un peu vain en fin de compte.