Marina DIATCHENKO, Sergueï DIATCHENKO
L'ATALANTE
384pp - 22,50 €
Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114
Vita nostra brevis est, brevi finietur. Notre vie est brève, elle finira bientôt. Avec Migrant se clôt le triptyque des époux Diatchenko. Initialement paru entre 2007 et 2010 en VO, L’Atalante nous en propose la traduction, sans se presser, depuis 2019. Pour rappel, le premier volume, Vita nostra (Bifrost 97), était une claque tant les auteurs parvenaient à suggérer sans rien expliquer. Le deuxième, Numérique (Bifrost 104), beaucoup plus banal, avait un peu déçu. Migrant relève la barre, mais sans atteindre les sommets du premier tome. Pourtant, le début se montre très séduisant : un homme, au doux surnom de Krokodile, passe sans transition d’une rue banale d’une ville terrienne à une salle d’une obscure administration. Il y apprend que sa demande a été acceptée et qu’il va pouvoir migrer vers une planète. Pas celle de son choix, car les choses ont changé depuis qu’il s’est porté candidat, mais on lui laisse le dernier mot entre Limbe et Raa. Qu’il ne connaît ni l’une ni l’autre. Et, encore plus étrange, il ne sait même pas avoir rempli un dossier ni, surtout, pourquoi. On lui montre juste la preuve qu’il l’a bien fait. On lui fait visionner un court message qu’il a lui-même enregistré auparavant et qui n’explique pas grand-chose, hormis qu’il a pris cette décision de son plein gré et après mûre réflexion. Et on lui explique que pour payer ce voyage vers sa nouvelle demeure, il lui en a coûté deux ans de sa vie.
Et le voilà sur Kaa. Sans rien savoir sur la planète. Sans même connaître la langue. On la lui a implantée dans le cerveau, mais parfois, des dissonances se font ressentir. Mais il doit s’adapter et, surtout, faire des choix, encore, sans en connaître les tenants et les aboutissants. Simple homme dans un monde qui n’est pas le sien, où les habitudes, les coutumes, les façons de vivre sont terriblement différentes de celles qu’il connaît. Comme cette épreuve qui lui permettrait de devenir un citoyen à part entière, mais qu’on lui déconseille de passer, car il n’a pas en principe les capacités de réussir. Têtu, il se lance et Kafka continue : des étapes se succèdent, certaines sans queue ni tête, sans que rien, jamais, ne soit réellement expliqué. Sans oublier les réflexes racistes de certains de ses nouveaux concitoyens. Et, surtout, le sentiment d’étrangeté permanent. Pour Krokodile comme pour le lecteur. Essayer de comprendre comment tout cela fonctionne et, surtout, où veulent nous emmener les auteurs est le principal moteur de Migrant. Mais les enjeux du récit sont assez faibles et leur portée sans grande force. Plus abordable que Vita nostra, plus enthousiasmant que Numérique, ce roman clôt de manière correcte un triptyque original méritant le détour. Et, pour prolonger, le plaisir, Marina Diatchenko, dorénavant veuve, a publié l’année dernière un nouveau volume, suite de Vita nostra. Saura-t-elle y renouer avec le charme ineffable de sa première histoire ?