James Ballard est, avant tout, un écrivain. Il a d’abord exploré le domaine habituel de la science-fiction avec ses quatre premiers romans catastrophe, dans la lignée des traditions anglaises de la S-F. Il s’est ensuite intéressé aux catastrophes psychologiques, qui obligent les personnages à changer de vie et d’opinion sur la vie qu’ils mènent, comme on le voit dans L’Île de béton ou dans I.G.H. Dans le sillage de Crash !, l’un de ses chefs-d’œuvre, il prend pour thème la violence et la jouissance qui en résulte. Millenium People est l’ironique vision d’une révolution manquée de la classe moyenne anglaise au tournant du millénaire. Dans la plupart de ses romans, le schéma est celui de l’enquête ou de la quête. Ici, nous avons deux lignes qui s’entremêlent. La première est l’enquête sur un acte de terrorisme (une bombe dans l’aéroport d’Heathrow) qui cause la mort de l’ex-femme du « psychologue industriel » David Markham. La seconde est une révolte urbaine. Cette enquête se déroule alors que les habitants de la Marina de Chelsea, un quartier petit-bourgeois de Londres, sont en révolte contre des taxes fiscales de tout ordre et les parcmètres payants dans la résidence. Dans les deux cas, acte de terrorisme ou révolte de la Marina, David se trouve en contact avec les mêmes personnages troubles. On ne sait pas exactement, jusqu’à la fin du roman, s’ils font tous partie d’un même complot, ou si leurs rencontres relèvent d’une sorte d’affinité entre déjantés. Ils sont pris dans le cadre de la révolte à laquelle ils participent, comme la critique de cinéma Kay se jetant avec sa Polo sur les policiers. Révolte et terrorisme se conjuguent, car le dieu caché et manipulateur de cette révolte est sans doute le psychiatre Gould. Il se sert de cette révolte bourgeoise comme d’un masque pour les actes terroristes qu’il exécute ou fait exécuter ailleurs (aéroport, cinémathèque, Tate Gallery, etc.). Ce pourrait être un bon roman policier, tant l’ancrage dans le paysage londonien actuel est présent. L’enquête aboutit officiellement, sans approcher la vérité. Un trait rattache ce texte à la S-F et rend ainsi au genre une dimension souvent oubliée. C’est le regard d’entomologiste porté sur la société, sur les motivations des individus et des groupes sociaux. Ils sont pris à une distance focale réglée de façon à permettre un léger décalage temporel permettant une vision ironique, comme si le présent était perçu par un archéologue du futur. Il aurait du mal à comprendre, en voyant les mouvements browniens dans la Marina, le sens de ce qui est à la fois une révolte contre ce qui est ressenti comme une injustice, et un vaste mouvement défouloir. Cette révolte sert à remplir, le temps d’une sorte de folie cathartique, le vide existentiel d’une classe bourgeoise qui dans un moment de lucidité (?) brûle tout ce pour quoi elle avait lutté. Ceci, avant de retourner, après une sorte de défi, dans son cadre et ses valeurs traditionnelles. Ironie du ton, pessimisme de la pensée. Un roman d’actualité.