Un jeune journaliste est envoyé à Los Angeles pour rencontrer et obtenir une interview de Dillinger, le patron d’une nouvelle et mystérieuse entreprise qui gère le transfert d’avatars d’un monde virtuel à l’autre. Dès le début, néanmoins, on devine bien que les choses ne se passeront pas comme prévu, que ce n’est là qu’un prétexte pour ce qui va suivre. Ce jeune homme, le narrateur, va rencontrer à une convention de jeu d’autres passionnés, d’autres geeks, tel que RAM, artiste déguisé en Godzilla, engagé et entièrement dévoué à ses projets. Avec des amis, il veut créer une performance mettant en scène la destruction de Los Angeles lors d’un combat de monstres japonais – les Kaiju –, et la fine équipe a donc créé une gigantesque maquette de la ville, futur terrain de jeu de l’affrontement entre Godzilla et Gamera. Parallèlement, le narrateur est sur la piste des liens entre Walt Disney et Osamu Tezuka, le légendaire créateur d’Astro Boy. Il a également entendu parler de mystérieux souterrains cachés sous les studios du réalisateur américain. Et il compte bien les fouiller afin de comprendre le fin mot de l’histoire.
Les premières pages de Minuscules flocons de neige…, sixième roman de Sabrina Calvo, mettent tout de suite le lecteur dans l’ambiance : une neige étrange tombe sur une ville n’ayant pas connu un tel phénomène depuis des années. D’ailleurs, personne ne croit à sa véracité, hormis ceux qui l’ont vécu. Dans ce roman, la logique passe souvent à la trappe : le réalisme n’est qu’une toile de fond, une grille pour les rêveries et les fantasmes du narrateur/auteur – les liens biographiques entre les deux sont évidents, volontaires sans doute, et nous plongent dans le doute, l’ambiguïté, renforçant le caractère immersif et addictif du récit. Nous ne voyageons pas à Los Angeles, décor lu et vu ad nauseam dans les romans et les films, nous pénétrons une ville revue et amplifiée par l’esprit de Sabrina Calvo, déformée par ses cauchemars, ses obsessions. Les chapitres s’enchainent, avec comme seul lien le cours des pensées du narrateur. D’ailleurs, le récit des évènements est par moments entrecoupé des rêves du personnage principal : encore un coup de boutoir contre la frontière entre réalité et fantasme ; des photos en noir et blanc, signées par l’autrice, agrémentent également l’ensemble. Si leur lien est parfois ténu avec le texte, elles rendent toutefois l’expérience plus forte, semant davantage le doute dans l’esprit d’un lecteur sommé de laisser derrière lui tout souvenir de son univers habituel.
Lire Minuscules flocons de neige depuis dix minutes s’avère un plaisir exigeant : il faut accepter de prendre le temps et de se laisser bercer par le rythme, les images, les désirs, la folie parfois de l’autrice. Pas question de prendre le roman pour une poignée de minutes dans le métro ou en bus. Il convient ici de s’oublier, endosser la peau de ce « je » déphasé, alter ego d’encre et de papier de Sabrina Calvo. « Je est un autre », nous dit Rimbaud. Et pour qui se laisse gagner par ce changement d’identité, aucun regret, bien au contraire : quel shoot !