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Les critiques de Bifrost

Mirror Bay

Catriona WARD
SONATINE
396pp - 23,00 €

Critique parue en octobre 2024 dans Bifrost n° 116

On ouvre le roman sur le journal d’un adolescent, Wilder Harlow. Juin 1989. Son oncle Vernon est décédé et ses parents ont hérité du cottage de Whistler Bay. Ils vont passer l’été là-bas, loin de New York. Wilder a dix-sept ans et, comme beaucoup de jeunes gens de son âge, ce qui lui importe est de trouver l’amour. Dans cet endroit reculé où le vent siffle sur les rochers, où l’océan impose une présence inquiétante, il rencontre Harper, jeune anglaise comme lui en séjour estival, et Nathaniel, fils d’un pêcheur du coin. Un trio amoureux se forme, une rivalité entre les deux garçons émerge et une amitié se crée. Les jeunes gens se défient, jouent à se faire peur et partent en quête de frissons, explorant les clairières, les criques et les grottes des environs. Les lieux s’y prêtent. Depuis quelques années, un mystérieux rodeur effraye la population en prenant par effraction des photos de jeunes enfants endormis dans leur chambre. Puis, des femmes disparaissent sans laisser de trace. Usant de l’attrait des rumeurs et des tourments du passage à l’âge adulte, des classiques de l’horreur psychologique, Catriona Ward crée une atmosphère inquiétante qui s’alourdit à chaque page, laissant imaginer que tout peut basculer à tout moment. Et tout bascule. Le trio d’amis fait une découverte sordide qui mène à l’arrestation du rodeur et la découverte de l’horreur insoupçonnée de ses crimes. Pour Wilder, Harper et Nathaniel, c’est la fin de l’innocence, de l’amour et de leur amitié.

Nous n’en sommes qu’au début. Ce qui suit, c’est l’après. Le récit des traumatismes qui va s’étendre sur des dizaines d’années. Cette première partie n’est qu’une mise en abîme qui se poursuivra en se déclinant, un livre dans le livre dans le livre. En prenant appui sur un récit d’horreur d’apparence très classique — trois adolescents en vacances, un tueur en série — Catriona Ward s’intéresse au récit en tant qu’acte, à l’écriture, et à ceux qui le font. Les écrivains sont des monstres... ils dévorent tout ce qui passe à leur portée, prévient-elle. C’est là le cœur de roman. Wilder Harlow n’est pas le seul narrateur de ces événements de juin 1989, d’aileurs l’a-t-il jamais été ? Qui dit, qui raconte, pourquoi ? Qui va puiser dans les vies, suce la moelle des vivants et des morts, trahit le réel et ses protagonistes ? Qui vit, qui souffre, qui s’en nourrit ? L’autrice crée de nombreuses pistes, autant de faux chemins, livre des indices sans lendemain et promène son lecteur dans un dédale où les personnages et les souvenirs sont imbriqués dans la construction d’un récit métafictionnel. Mais à jouer à se faire peur, on réveille parfois des démons.

S’il n’est pas le chef-d’œuvre annoncé — quelques facilités ici et là —, Mirror Bay est un roman très réussi autant dans ses prémisses que dès qu’il sort du cadre qu’il a lui-même proposé comme point d’ancrage. C’est un roman sombre, empreint d’une tristesse aussi insondable que l’abîme qui nous contemple dès que l’on s’y penche un peu trop. Une lecture hautement recommandable.

 

FEYD RAUTHA

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