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Les critiques de Bifrost

Misericordia

Misericordia

Jack WOLF
BELFOND
450pp - 22,00 €

Bifrost n° 70

Critique parue en avril 2013 dans Bifrost n° 70

Angleterre, première moitié du XVIIIe siècle. Fasciné par l’étude du vivant, le jeune Tristan Hart quitte son Oxfordshire natal et un milieu familial tourmenté pour suivre à Londres des études de médecine. Durant son apprentissage, il réside chez Henri Fielding, ami de son père et auteur du fameux roman Tom Jones jugé licencieux. Tristan apprend auprès des plus grands praticiens et démontre très rapidement de réelles prédispositions pour l’art médical, principalement la chirurgie, tout en développant ses propres théories, notamment sur la douleur. Est-elle nécessaire, présente-t-elle des vertus positives ? Cet intérêt scientifique va bientôt se doubler d’un attrait sensuel. Le jeune Tristan ne peut prendre son plaisir qu’en infligeant des sévices aux prostituées, ce qui libère en lui une énergie créatrice aussitôt réinvestie dans ses recherches. L’apprenti médecin trouve ainsi son équilibre et on lui prédit déjà le plus bel avenir. C’est compter sans les apparitions dont les plus étranges ne sont pas illusoires, gitans et fillette à corps de chauve-souris, qui vont contraindre Tristan à se confronter au passé…

Dans la lignée de L’Etrange cas du docteur Jekyll et de Mr Hyde, considéré comme archéotexte, Misericordia appartient à cette veine typiquement anglaise du roman historique médical, au même titre que Le Cercle de la croix d’Iain Pears et plus encore L’Homme sans douleur d’Andrew Miller, dont il explore en contrepoint une thématique proche. Jack Wolf décrit la douleur, qu’elle soit morale ou physique. La première prend le tour de la folie ou tout du moins de phases délirantes ; les lecteurs qui ont apprécié Drood de Dan Simmons s’y retrouveront, et même plus. Mais c’est bien la douleur physique qui dans Misericordia frappe de plein fouet le lecteur. Elle est sublime au sens que lui donne le philosophe Edmund Burke (1729-1797) dans sa Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau (1757). La douleur sublime frappe l’esprit de stupeur, provoque chez celui qui l’éprouve exaltation ou abattement. Son expression la plus parfaite réside dans la terreur : « Aucune passion ne dépouille aussi efficacement l’esprit de son pouvoir d’agir que la peur. » Force est de reconnaître que la lecture de Misericordia est parfois insoutenable, notamment lors d’une scène d’amour avec Katherine, l’héroïne de quatorze ans, ébats dont la seule pénétration est celle d’un scalpel, ou lors de la scène de torture de Simmins, le malheureux inverti qui aime Tristan. Ajoutons la beauté de l’écriture, servie par la traduction de Georges-Michel Sarotte, écrivain trop rare, et une forme d’humour très particulier, cynisme du désespoir qui fait de ce roman une véritable expérience limite. Une lecture littéralement, hautement recommandée.

Xavier MAUMÉJEAN

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