Vincent BONTEMS, Norman SPINRAD, Valérie MANGIN, Raphaël GRANIER DE CASSAGNAC, Pierre BORDAGE
LES BELLES LETTRES
160pp -
La présentation en quatrième de couverture rappelle que la maison d’édition des Belles Lettres a été créée parce qu’un érudit regrettait de ne pas pouvoir emporter une édition critique des œuvres d’Homère. De fait, les Belles Lettres sont devenues l’édition de référence du patrimoine latin et grec, qu’il est essentiel de préserver, pas seulement à l’intention des savants lettrés, mais parce qu’il représente notre héritage.
Pour fêter le centenaire de sa maison, Vincent Bontems propose d’imaginer ce que pourrait être sa destinée un siècle dans l’avenir. Avec « Belles Lettres Ad Astra », Norman Spinrad justifie pleinement le rôle de l’écrivain de science-fiction : dans un système solaire à présent colonisé, alors que des audacieux s’apprêtent à faire le grand saut vers Alpha du Centaure et même en direction d’une sphère de Dyson, le narrateur est chargé d’écrire des textes se rapprochant le plus de ce qui pourrait relever d’une conscience non-humaine, soit le plus grand défi littéraire jamais imaginé.
Plus pessimistes quant à l’avenir de l’humanité, les trois autres auteurs décrivent des sociétés après l’effondrement de la civilisation. Dans « La Nuit des livres », si riches et pauvres se répartissent entre rive droite et rive gauche, la culture est partout inexistante. Le récit est écrit dans une langue abâtardie, dans une langue abâtardie, mélange de termes français et anglais parfois déformés, mais que Valérie Mangin, l’érudite scénariste des Chroniques de l’Antiquité galactique et d’Alix Senator, émaille de locutions latines comme autant de balises mesurant l’étendue de ce qui a été perdu. La trajectoire de Page, qui vend à contrecœur une partie de la librairie de papa Al dans l’espoir que son contenu sera mieux préservé par les nantis de l’autre rive, illustre les ambiguïtés de la compromission et de la préservation du passé.
Pour Raphaël Granier de Cassagnac, l’édition papier offre de meilleures garanties de conservation que le numérique, après l’effondrement de la civilisation. Dans « Premières Lettres », Zénon, Platon, Homère, Marc-Aurèle et quelques autres se réunissent dans l’Agora pour décider du sort du dernier homme sur Terre. Mais qui sont au juste ces philosophes de l’Antiquité, et le fait que le survivant cherche une mythique bibliothèque entreposant la mémoire du monde suffit-il à le sauver ?
La même quête pousse les survivants d’un Holocauste nucléaire à aller « De l’avant ». L’optimisme de Pierre Bordage peine cependant à convaincre, s’agissant de jeunes prédateurs ignorant que l’inestimable trésor vers lequel les guide une emblématique chouette ne correspond en rien à leurs attentes de charognards, comme ils se surnomment. Il importe surtout de comprendre que le sympathique volatile qui, un siècle plus tôt, ne s’appelait pas encore Athena, même s’il symbolisait déjà le savoir, n’a pas disparu de la surface de la Terre.
À noter que la « préface d’e-Lucien » (et la présentation des auteurs en fin de volume) est en soi un autre texte de science-fiction où Vincent Bontems donne aux futurs des Belles Lettres la destinée électronique qui lui revient, pérennisant le savoir pour le siècle à venir, et au-delà.