Juan Miguel AGUILERA
AU DIABLE VAUVERT
560pp - 23,00 €
Critique parue en juillet 2005 dans Bifrost n° 39
Un beau gâchis. Et à tous points de vue. À commencer par la traduction. Si Antoine Martin avait déjà bien amoché Rihla (même éditeur), ici, franchement, on touche le fond : le style est d'une lourdeur tutoyant le grotesque, les répétions sont légions, sans parler des phrases qui ne veulent tout simplement rien dire. Difficile, dans pareilles conditions, de juger de la qualité d'un texte qui, à coup sûr, a été fusillé lors de son passage en français… D'autant que l'éditeur a visiblement démissionné sur le projet : au-delà de la traduction, les coquilles sont légion, avec parfois des trucs si ridicules que le bouquin en acquiert une dimension humoristique inattendue (il « pinta son arme » plutôt qu'il « pointa », par exemple). Bref, un livre éditorialement bâclé, non traité, vendangé (le Diable nous avait habitué à mieux…).
Et c'est d'autant plus regrettable que Mondes et démons promettait beaucoup de la part d'un auteur dont le premier roman traduit en France, La Folie de dieu (publié initialement au Diable mais réédité il y a peu chez J'ai Lu), nous avait enthousiasmé. Certes, la prime incursion dans le space opera d'Aguilera (Les Enfants de l'éternité chez ISF) n'avait rien de convaincante. Certes encore, Mondes et démons se déroule dans le même univers que Les Enfants de l'éternité, ce qui peut inquiéter. Mais quoi ? Aguilera a du talent, du souffle, de l'ambition. Alors…
Alors ça ne suffit pas. Mondes et démons est structurellement à l'image de son édition française : foutraque. À force de multiplier les points de vue, l'auteur s'égare et le lecteur avec. Difficile, en effet, de s'immerger dans cette histoire de guerres stellaires et d'artefact démesuré dans un lointain futur que l'auteur peine à nous exposer. On patauge grave et, après cent pages de lecture, on ne sait toujours pas où on va, même si on commence à sérieusement se douter que c'est dans le mur. Bien sûr, il y a les personnages, pour certains dépeints avec caractère et réussite, notamment les figures extraterrestres. Il y a aussi certains passages, tendus comme des cordes de piano, d'une cruauté tranchante. Mais Mondes et démons souffre d'une ambition mal maîtrisée et d'un plan bancal. À force de trop vouloir en faire, de jouer la démesure, Aguilera n'en fait finalement pas assez, ou mal — s'attardant sur les détails, expédiant des scènes clés en trois phrases. Restent, on l'a dit, de forts beaux passages, quelques visions vertigineuses, mais ça ne suffit pas à sauver un livre qu'on peine à achever et dont on ressort déçu, pour le moins. Gageons qu'en espagnol, le livre ne lasse que par sa structure. Mais en français, il ne reste vraiment pas grand-chose à sauver. On passe : le grand-œuvre d'Aguilera, c'est pas pour tout de suite.