La publication des œuvres de Jacques Barbéri à la Volte autorise l’auteur à revenir sur ses accomplissements antérieurs – Narcose en était déjà un exemple, il y en a eu d’autres, mais sans doute jamais au point de Mondocane.
À l’origine figurait une excellente nouvelle publiée en 1983 ; elle ne tenait guère du récit, plutôt du bref panorama d’un monde ravagé pour des raisons inconnues et par des méthodes inouïes : un tableau surréaliste et fou justifiant la référence à Jérôme Bosch – au-delà des références plus globales, Philip K. Dick, J. G. Ballard, David Lynch… Lewis Carroll peut-être ?
Or l’auteur y est revenu à plusieurs reprises, en tirant un roman du nom de Guerre de rien en 1990, et lui composant une BO en 2007 via son groupe Palo Alto associé à Klimperei. Et enfin aujourd’hui, ce nouveau roman, accompagné de la susdite BO.
Transformer la nouvelle en roman n’était pas sans difficultés – d’autant que l’auteur brille sans doute plus pour les images, les ambiances, que pour le récit… Et s’il ne tombe pas dans le travers de l’explication excessive, il doit composer avec les nécessités de la narration – d’où ce début old school, avant l’apocalypse ; nous y faisons la connaissance de Jack Ebner, « nourrice » de l’IA Guerre et paix, dans un contexte géopolitique troublé – et la mainmise des IA sur la guerre aura des conséquences fatales ; si elles éviteront le chaos nucléaire, leurs assauts, tous plus délirants les uns que les autres, transmuteront à jamais la Terre…
C’est ici que l’on rejoint peu à peu les fascinants tableaux de la nouvelle originelle. Or Jack Ebner sera lui-même en mesure de les voir – il est en effet parvenu à survivre par la cryogénisation ; il perd conscience au tout début de la guerre pour se réveiller sept ans plus tard…
Jack Ebner découvrira, éberlué, un monde qu’il comprend moins que jamais, via des gens qui ne sont peut-être plus tout à fait humains, et qui portent sur eux les stigmates du conflit. La plupart se montrent amicaux, ou du moins serviables – leurs sarcasmes n’y changent rien, pas plus que leur apparence ne doit tromper. C’est tout particulièrement vrai des enfants, qui se sont adaptés au monde – il y a quelque chose de lumineux les concernant qui laisse entendre que non, tout n’est pas fini…
Même si ce qui marque le plus provient de la nouvelle originelle – ces montagnes de chair, colonies souterraines d’homoncules, géantes/ogresses au sexe béant à s’y noyer, villes enfermées dans des boules à neige quand leurs bâtiments peuvent atteindre des dimensions de plusieurs dizaines de kilomètres, Champs Élysées dont le chaos apparent obéit pourtant au nombre d’or, hommes-bouteilles qui sont autant de messages, vaisseaux quantiques, enfin, propulsés à la drogue psychokinésique, et dont on ne peut dire où ils sont…
La « quête » de Jack Ebner, errance à la fois investigation et expiation, ne l’épargnera pas – l’inadapté acquérant enfin les traits d’une figure certes pathologique, mais aussi mythologique.
Mais ce n’est décidément pas le récit qui importe – et ce d’autant plus peut-être qu’on le sent vraiment constituer un prétexte pour balader le lecteur de tel tableau à tel autre. L’artifice est parfois un peu trop visible, tandis que la description « étendue » des conséquences de la guerre n’a pas toujours la force du concentré de mystère s’exprimant dans la nouvelle originelle…
Mondocane est un bon, voire un très bon roman, sa lecture vaut le détour… Mais « Mondocane » était une excellente nouvelle et… « less is more », dit-on parfois.