De quoi Mordew est-il le nom ? D’une ville fictive, imaginée avec moult précision topographique par le britannique Alex Pheby, qui va jusqu’à nous en présenter une carte en ouverture du roman. L’on y découvre une cité à la forme spirale, cernée sur son flanc oriental par une chaîne montagneuse dénuée de nom, et sur sa bordure occidentale par un océan pareillement anonyme. Entre monts et mer s’enroule donc sur elle-même Mordew, à la manière d’un gigantesque escargot.
Les cercles les plus périphériques de ce semblant urbain de coquille en abritent les Bas-fonds. Des quartiers aussi déshérités qu’insalubres et dont les contours à la fois sordides et étranges révèlent certaines des influences de Mordew. On note d’abord celle de Charles Dickens dans la peinture du lumpenprolétariat s’entassant dans ces Bas-Fonds, y survivant plutôt mal que bien sous la menace des attaques répétées de phénix. Évoquant le pandémonium chimérique peuplant la Nouvelle-Crobuzon de China Miéville, ces créatures mi-cheval, mi-lézard sont dépêchées contre Mordew par la cité adverse de Malarkoi. Sous l’emprise d’une puissante sorcière simplement appelée la Maîtresse, Malarkoi semble avoir voué Mordew à une perte dont la protège un autre mage nommé tout aussi sobrement le Maître. Exerçant son ministère magique depuis un baroque palais à l’architecture improbable rappelant le « Gormenghast » de Mervyn Peake, le Maître de Mordew protège aussi bien les plus miséreux de ses habitants que sa bourgeoisie d’allure là encore dickensienne et vivant dans la Plaisance – c’est-à-dire les beaux quartiers de Mordew, que Nathan Treeves, un garçon pourtant né au plus profond des Bas-fonds, découvre à l’occasion d’aventures formant la matière de ce volume inaugural d’une trilogie intitulée « Les Cités de la trame ». Notamment lorsque le garçon rejoint les rangs d’une bande de voleurs et voleuses pareillement jeunes, comptant dans ses rangs les « Joes », singulière déclinaison locale d’une fratrie siamoise.
Ne se contentant pas de se confronter aux différences classistes d’une cité à la structure sociale violemment inégalitaire, Nathan va encore en découvrir les versants occultes (par exemple via l’exploration des extraordinaires égouts) mais aussi occultistes. Sous ses fragiles apparences de gamin loqueteux, le jeune Nathan dissimule un puissant talent sorcier désigné sous le nom de Démange. La possession de celle-ci lui permet d’imposer sa volonté à « la Foudre […] cette chose […] qui anime toutes les choses importantes dans les mondes matériel et immatériel », et donc d’imprimer sa volonté aux unes comme aux autres… Ce que le Maître de Mordew ne tardera pas à remarquer, faisant dès lors de Nathan son disciple, le recrutant dans la guerre l’opposant à la Maîtresse de Malarkoi. Et c’est alors que se révèle la véritable et majeure référence de Mordew, c’est-à-dire J. K. Rowling et son héros universel…
L’on comprend en effet fort rapidement que sous sa foisonnante marqueterie lexicale et derrière ses monstres politico-gothiques, Mordew consiste pour l’essentiel en un décalque des récits consacrés au fameux jeune sorcier. Donnant in fine la décevante impression de n’être rien d’autre qu’un produit (témoignant certes d’un certain savoir-faire) à destination du rayon « Young Adult », Mordew n’a en réalité rien à voir avec les auteurs susmentionnés et auxquels il n’emprunte que superficiellement. De même est-on ici à des années-lumière de la singularité titanesque du Jérusalem d’Alan Moore (cf. Bifrost n° 88) auquel l’éditeur compare bien imprudemment ce formaté et dispensable Mordew en quatrième de couverture…