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Les critiques de Bifrost

Morgane Pendragon

Jean-Laurent DEL SOCORRO
ALBIN MICHEL
368pp - 22,90 €

Critique parue en avril 2023 dans Bifrost n° 110

Oubliez ce que vous avez appris, tout ce que vous croyez savoir sur la légende arthurienne. Les films de Hollywood, de Walt Disney, les comics et BDs, Chrétien de Troyes, Robert de Boron ou Thomas Malory, voire T. H. White. Désormais, contentez-vous de la légende morganienne. La fille cachée d’Uther a en effet accompli la prophétie, au grand dam de Merlin et d’Arthur. Elle est parvenue à retirer de la pierre l’épée du défunt souverain de Logres. Elle a saisi la poignée faisant glisser la lame hors de son fourreau minéral dans un acte qui a sonné comme un défi auprès des Couronnes de Bretagne. Il lui a fallu asseoir sa légitimité en combattant les rebelles et leurs forces coalisées au cours de la bataille du Mont Badon. Elle a dû aussi consolider son autorité en mettant en place un conseil des Épées pour l’épauler et la guider. Mais, ils sont légion et elles sont nombreuses à vouloir mettre un terme à son règne, au moins aussi nombreux.ses que ses fidèles, chevaliers et cheva­­lières déterminé.es à faire vivre la légende.

Récit syncrétique et inclusif, Morgane Pendragon est la réécriture agile, astucieuse et documentée de la romance arthurienne, littérature prévalant dans les milieux aristocratiques européens des XIIe-XVe siècle. Si Del Socorro fournit un point d’ancrage et un contexte historique identifiable, en gros, ici, le VIIe siècle, Morgane Pendragon em­prunte davantage son matériau romanesque au merveilleux et à un idéal chevaleresque fantasmé. Les connaisseurs ne seront donc pas étonnés de retrouver la table ronde et son siège périlleux, ses chevaliers et chevalières devenu.es par un artifice rhétorique des Épées – l’objet définissant l’individu et son rôle –, les quêtes, les créatures de la féerie, les différents royaumes de Bretagne et leurs souverains, le Graal, Excalibur, Merlin, Camelot, le Roi pêcheur, Lancelot, Mordred, Tintagel… Bref, tous les lieux et personnages emblématiques du légendaire celtique. Ils renoueront également avec les ressorts classiques et les poncifs des romans de chevalerie, un art de vie ordonné autour des tournois, de l’honneur, du céré­monial des banquets et des unions nobiliaires. Del Socorro se distingue cependant de ses illustres devanciers en conférant à la tradition une touche de mo­dernité. Dans la Bretagne morganienne, les femmes sont ainsi les égales des hommes, gouvernant des royaumes ou combattant en armure à leur côté sur le champ de bataille. L’homo­sexu­alité n’est pas regardée comme une tare ou un péché, même si les chrétiens restent aux aguets, prêts à toutes les fourberies. L’auteur se garde toutefois d’asséner ces chan­gements, préférant faire œuvre de romancier plutôt que de militant. En cela, il s’inscrit dans l’incessant travail d’appropriation et de réap­propriation dont a fait l’objet le légendaire arthurien, au point de devenir le pendant allégorique des luttes politiques et sociales des différentes époques qu’il a traversé.

Avec Morgane Pendragon, Jean-Laurent Del Socorro fait sien un imaginaire qui ne semble pas s’assécher en dépit de ses multiples déclinaisons. Bien au contraire, il parvient même à enrichir la légende d’une nouvelle strate, à jouer de son intertextualité avec d’autres œuvres, sans en affaiblir au­cunement le souffle ou en dénaturer l’histoire. De la belle ouvrage dont il serait dommage de se priver.

Laurent LELEU

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