2018, Afrique du Sud. Il y a les connectés, et il y a les autres, les moins que rien, les pestiférés, les rejetés de la société. Ceux qui n’ont pas de téléphone portable leur permettant d’être en ligne sont exclus. Les smartphones sont devenus la porte vers la vie virtuelle et réelle des citoyens. Dans ce monde, certains connectés vont commencer à se poser des questions. Et à vouloir secouer un peu les choses…
Il aura fallu attendre la sortie de Zoo City et des Lumineuses pour que soit enfin publié le premier roman de Lauren Beukes en France. Lequel porte en lui les bases de ce qui deviendra l’univers torturé de son auteur. Nous sommes ici dans un futur proche défiguré par l’hyperconnectivité. Le web 2.0 est largement dépassé et a été remplacé par une nouvelle version plus invasive et indispensable à la vie en société, ce qui ne fait que marquer encore davantage la fracture numérique.
Ce roman cristallise ainsi deux problématiques. Tout d’abord, on sent l’envie de l’auteur de réfléchir à l’invasion de plus en plus marquée et marquante d’internet dans nos vies. Et c’est là qu’on tire son chapeau à Lauren Beukes, qui, il y a six ans, a notamment réussi à prévoir la montée en puissance des vlogs (appelés streamcasts) et des Youtubeurs à travers eux (bien que Youtube ne soit jamais mentionné ici). De plus, elle arrive à créer un univers flirtant avec un cyberpunk plutôt crédible et très riche. Le seul hic serait peut-être le côté « à court terme », la petite décennie qui sépare l’écriture du monde qui est décrit condamnant en effet ce récit à une obsolescence rapide — le lire en 2014 rend déjà ce futur de 2018 peu plausible. Une vingtaine d’années auraient été un laps de temps plus crédible pour expliquer l’évolution du langage et de la technologie, et pour rendre probable la création et l’implantation de micro-organismes robotiques dans un organisme humain.
La deuxième problématique dont il est question ici est sans surprise (quand on sait que l’auteur habite en Afrique du Sud) celle de l’Apartheid. De son propre aveu, Lauren Beukes a voulu démontrer l’absurdité de la ségrégation en remplaçant une cause d’exclusion par une autre. Cette séparation des êtres connectés et hors système n’en reste pas moins une évolution tout à fait probable de notre société, et elle n’en devient que plus glaçante.
C’est donc par les réflexions qu’il suscite que Moxyland s’avère un livre notable. Cependant, le style hésitant, étouffant, parfois, de l’auteur, ne facilite pas l’immersion. A force d’assommer son lecteur de termes inhabituels contribuant à l’impression d’évoluer dans un futur beaucoup plus éloigné qu’il ne l’est en réalité, Lauren Beukes en oublie de construire l’histoire autour de l’univers qu’elle crée. On s’intéresse de fait beaucoup plus au contexte qu’aux personnages, et on s’étonne de constater combien, en définitive, le récit aurait pu s’arrêter n’importe quand sans que cela ne soit réellement gênant…
On l’aura compris, Moxyland est un premier roman à la fois bancal et enthousiasmant, rempli d’éléments pertinents mais pas forcément des plus agréables à lire. Il n’en reste pas moins intéressant à découvrir, et permettra aux amateurs de hard SF plus qu’aux autres de rentrer dans un univers différent, parfois anxiogène, mais tout autant fascinant dans ce qu’il dénonce.