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Les critiques de Bifrost

Musiques liturgiques pour nihilistes

Musiques liturgiques pour nihilistes

Brian HODGE
LE BÉLIAL'
164pp - 10,52 €

Bifrost n° 14

Critique parue en juillet 1999 dans Bifrost n° 14

Attention, noir ! C'est ainsi que tout le monde qualifie l'univers macabre et gothique de Brian Hodge. Ce ne saurait tout à fait être un gage de qualité s'il n'y avait derrière une profonde réflexion métaphysique servie par une splendide écriture. Un style qui fait mouche dès la première phrase : « Que ce soit bien clair : ici, on tue des enfants » (in « Le Paradis en voie d'extinction ») ; « II a dû y avoir des signes avant-coureurs » (in « Tendres Holocaustes »). Dès l'accroche, Hodge distille une musique qui ne vous quitte plus, comme une obsession qui remonte obstinément à la conscience. En plein récit, il est capable de lâcher une phrase qui vous hante pour longtemps. Ainsi, quand on a grandi dans l'absence d'un proche prématurément disparu : « Nous sommes des fantômes l'un pour l'autre, hantés de souvenirs inexistants ».

Le titre de la principale nouvelle (qui est celui du recueil) résume précisément son œuvre ; le paganisme (au retour souhaité) et la déliquescence des sociétés modernes sont ses thèmes principaux, comme on pourra s'en persuader avec ces cinq nouvelles qui voient rôder d'anciens dieux à la lisière de notre monde, des enfants persécutés par le monde moderne se transformer en jaguars, un dieu naître du néant à l'intérieur d'un lieu hautement symbolique : un abattoir désaffecté.

Aux villes qui s'étendent comme des cancers et dont les murs boivent les âmes de ceux qui souffrent s'opposent les landes écossaises battues par le vent, les reliefs tourmentés d'une Angleterre au ciel plombé et à l'horizon noyé de brouillard. Les personnages sont des marginaux, toxicomanes, homosexuels persécutés, enfants de bidonvilles, artistes ratés. Ce qu'ils vivent fait toujours écho à un passé douloureux, à des histoires anciennes qui mettent en relief les événements présents ou leur donnent un éclairage inédit. En toile de fond, Hodge analyse la souffrance, la culpabilité, la mélancolie, et les attitudes qui en découlent, attitudes de fuite, de révolte, d'expiation.

Le noir de Brian Hodge est profond, velouté, magistral !

Pour briller ainsi, cette noirceur est forcément truffée de diamants. Ceux-ci montrent que ce constat négatif du monde est tempéré par la compréhension, l'empathie, l'amour du genre humain et même l'espoir. Voici comment le preneur d'âmes considère celui qui le consulte pour fuir la souffrance : « À quelle déchéance était-il réduit ! Car plus personne ne croyait à la magie, et leur seule motivation était l'espoir de ne plus souffrir. Il refusait de les mépriser pour autant. Le siècle avait été cruel, dans l'ensemble. » Au-delà de la compassion, on décèle de la tendresse. Parler de souffrance morale n'est pas négatif quand elle est témoignage d'humanité : « Quelquefois je gratte la plaie, pour m'assurer que je sais encore la ressentir. Mais je dois creuser très profond (…) Il fut un temps où je croyais cette insensibilité désirable ».

Chez Hodge, l'espoir est mince, mais il existe. S'il ne se fait guère d'illusions sur le monde et ses semblables, il n'en reste pas moins porteur de valeurs positives qu'il sait déceler dans les plus noirs tableaux, à l'instar d'un Baudelaire célébrant Les Fleurs du mal.

Ne craignez donc pas la lecture de Hodge. Elle n'est pas aussi négative qu'on le dit. « Car lorsque tout est dit, il reste la vie et rien que la vie, dans toute sa richesse. »

Outre une préface de Bauduret, ce recueil comprend une interview de l'auteur et une bibliographie qui montre combien Brian Hodge est encore peu traduit en France.

Claude ECKEN

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