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Les critiques de Bifrost

Mytale

AYERDHAL
AU DIABLE VAUVERT
532pp - 20,00 €

Critique parue en janvier 1998 dans Bifrost n° 7

Mytale, le second roman d'Ayerdhal, fut initialement publié en trois parties au Fleuve Noir en 1991. Le voici aujourd'hui réédité sous une version remaniée de 509 pages dite version ne mentionnant nulle part le fait que nous sommes ici en présence d'une réédition, et encore moins la date réelle d'élaboration du texte original…

L'« archaïsme » de l'écriture ayerdhalienne est ici flagrante : de longues citations de littérature mytalienne (à la Dune ou à la Fondation) systématiquement portées en tête de chapitre ; une invasion galopante vocabulaire idiomatique alourdissant le style à un point frisant l'intolérable ; un délayage de l'action pendant près de la moitié de lecture alternant fuite, visite guidée planétaire, joutes verbales et marivaudages.

L'idée de base du roman est simple : une société de castes, à la manière des insectes, qui va se révolter contre ses maîtres immortels grâce — évidemment — à ses marginaux et à l'héroïne rédemptrice.

La culture décrite a peu d'intérêt : Mytale est présentée comme moyenâgeuse. Pseudo-moyenâgeuse serait plus juste parce que le moyen-âge Terrien est beaucoup plus complexe et beaucoup plus coloré. L'ordinaire mytalien, quant à lui, évite surtout à l'auteur de jongler avec les notions beaucoup plus délicates d'une société futuriste et lui permet de se concentrer sur une description technologique : comme il fallait bien des sources de voir, celles-ci seront psioniques — parapsychiques — et génétiques. Évidemment hormis quelques citations anatomique (le « névraxe » déjà entrevue, si je m'abuse, dans La Bohême et l’ivraie), nous serions bien en peine de comprendre par quel prodige scientifique de tels pouvoirs fonctionnent. Le processus de mutation systématique (et l'art de les contrôler est à peine plus fouillé : vous mutez dès que vous êtes en contact avec l'environnement mytalien et ce, même si on a « stabilisé » votre organisme grâce à une très haute biotechnologie. Les Illes — la caste de marginaux libérateurs — contrôlent l'orientation de vos mutations en vous administrant « des remèdes de sorcière ». Autrement dit : tout ça, c'est de la magie.

Notez bien que je ne reproche aucunement à Ayerdhal de ne pas expliquer en long et en large des principes de physique et d'ingénierie génétique imaginaires — quoi qu'il in se gêne pas pour se lancer dans des discours historico-ethnologiques sur la culture mytalienne -—mais plutôt de n'avoir pas cherché a élaborer la mécanique scientifique de son monde d'une manière plus aboutie que le raisonnement basique de l'analogie des conte de fées (« Bois-moi et je te ferai bleuir… »). État de faits que je rapprocherais de plusieurs commentaires méprisants vis à vis des sciences, glissés ça et là dans les citations en tête de chapitres et en particulier d’un « science synonyme de débile sur Mytale ». Le mépris est souvent révélateur d’ignorance.

Si encore l'intrigue ou la mise en scène se distinguait… En définitive, le premier problème vient du fait qu'Ayerdhal a commis beaucoup mieux depuis. Ainsi en terme de qualité d'écriture L'histrion, Balade choreïale et Parleur sont sensiblement plus limpides et percutants.

Le thème de la révolte contre l'autorité despote est omniprésent chez notre auteur, et ce depuis La Bohême et l'ivraie. La morale en est plus que simpliste dans Mytale : le monde peut s'unir malgré ses différences, la rédemption viendra du sauveur marginal et, s'il meurt suffisamment de rebelles, la liberté triomphera.

L'intrigue elle-même s'esquive sous les mensonges des protagonistes : le temps que les uns et les autres — lecteur compris — sachent ce qu'il en est au final, deux cents pages auront filé. Il y aurait également beaucoup à dire sur la minceur psychologique des portraits des protagonistes — archétypes ou caricatures ? Enfin, la révolution est ici une affaire d'individus (héros ou grands méchants) plutôt que de groupes — à croire que la trentaine de dirigeants immortels se tournent les pouces pendant qu'un seul va au charbon…

Au final, Mytale est un roman très lourd à digérer à cause de l'abondance de son vocabulaire exotique et des dissertations pseudo-ethnologiques qui l'émaillent, peu réaliste, dont le côté scientifique se limite à des emprunts au vocabulaire classique du space opera. L'intrigue et la mise en scène sont pratiquement banals : Ayerdhal a fait bien mieux et il fera certainement encore davantage… dans la mesure toutefois où il daignera s'intéresser un peu plus aux sciences.

David SICÉ

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