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Les critiques de Bifrost

Narcogenèse

Narcogenèse

Anne FAKHOURI
L'ATALANTE
288pp - 20,50 €

Bifrost n° 63

Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63

Dans la région, les Gaucher font l’unanimité contre eux. On le sait, bon nombre de vieilles familles bourgeoises de province sont la cible, au mieux de la méfiance populaire, au pire de sa rancœur. Un fardeau dont s’accommodent bon gré mal gré les Gaucher, même s’ils cumulent les ragots, on-dit et autres diffamations.

Une multitude de rumeurs courent en effet sur leur compte. Une notoriété fâcheuse que rien ne vient démentir. Le Chais, leur vieille demeure familiale, serait bâtie sur un ancien cimetière. Les hommes n’y auraient pas droit de cité, du moins pas très longtemps, la mort se chargeant de les pousser dehors, pour le plus grand bénéfice des femmes. Un clan de sorcières. Du moins est-ce ainsi que tout le monde les considère au pays. Une accusation très pratique pour expliquer l’origine douteuse de leur fortune personnelle, une telle réussite ne pouvant se justifier que par quelques diableries.

La dernière génération des Gaucher vit toujours au Chais, conformément à sa mauvaise réputation. La mère, veuve depuis peu, protège jalousement sa famille, en particulier ses deux filles. L’une travaille à l’hôpital, où elle fait d’ailleurs des miracles, se dévouant auprès des comateux. L’autre végète dans la propriété familiale avec ses deux enfants, leur géniteur pointant aux abonnés absents. Une routine que rien ne semble vouloir remettre en cause. Jusqu’au jour où l’on retrouve un enfant fugueur plongé dans le coma, à l’intérieur du parc des Gaucher.

Anne Fakhouri n’est plus une inconnue dans le paysage de l’Imaginaire francophone. Remarquée pour son diptyque Le Claivoyage (publié dans une collection « jeunesse »), on l’attendait de pied ferme avec ce troisième roman. L’ex-chroniqueuse du site ActuSF vise ici un lectorat adulte, mais pour autant Narcogenèse ne délaisse pas l’univers de l’enfance et de ses frayeurs. Elle opte ainsi pour une histoire aux marges du fantastique, un récit lorgnant un tantinet du côté du Magicien d’Oz, manière d’agrémenter son intrigue de quelques clins d’œil en direction de ce classique américain. Mais pas davantage.

Si sur le fond Anne Fakhouri nourrit quelques ambitions — une trame teintée de féminisme, brassant les thèmes de l’infanticide et du déni de grossesse —, sur la forme on ne peut s’empêcher de trouver le roman terne et prévisible. Certes, l’auteure déroule son récit avec aisance. Elle fait monter peu à peu la tension, alternant les points de vue (trop sans doute) et les époques par un procédé dont on se gardera de divulguer ici les tenants et aboutissants. Elle mêle une nouvelle fois le rêve et la réalité, ajoutant à l’univers du conte celui de la chronique familiale, et assemblant progressivement les pièces d’un puzzle complexe. Toutefois, tout ceci flirte avec le déjà-vu et manque de densité dramatique. Le roman joue avec les conventions du fantastique sans parvenir à s’en détacher suffisamment pour traiter la dimension sociétale de l’intrigue. On se disperse, on survole, on s’ennuie parfois… Et puis, tout ceci reste trop sage, trop classique, trop respectueux et au final un peu factice.

Signalons pour terminer des répétitions lassantes, notamment un abus du terme silhouette — à se demander si le texte a été suffisamment relu — et une amourette un brin sirupeuse entre deux des personnages. De quoi lâcher le bouquin en cours de route.

Bref, on reste sur une impression mitigée en refermant Narcogenèse. Le sentiment d’avoir lu sans vrai déplaisir une énième histoire de croquemitaine. L’impression aussi de ne pas avoir été remué, malmené, voire bouleversé, comme le sujet le laissait espérer. Dommage…

Laurent LELEU

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