Qu’est-ce qui fait une ville ? Son esprit, ses immeubles, ses habitants ? N. K. Jemisin pousse la réflexion à l’extrême, dans ce diptyque où l’âme des mégapoles s’incarne dans un – ou plusieurs – avatars humains.
C’est là le postulat duquel part l’autrice qui, sortant de ses habitudes d’écriture, ancre cette fois son récit dans le monde réel. Dans ce second tome de « Mégapoles », nous suivons les avatars qui incarnent New York et ses arrondissements, quelques mois après la fin de Genèse de la cité (cf. Bifrost n°102). S’ils ont réussi à se débarrasser de l’Ennemie, la cité lovecraftienne décidée à se débarrasser de toutes les cités nouveau-nées, celle-ci n’a pas disparu pour autant. La trahison de Staten Island a affaibli nos héros, et permis à la Dame Blanche de garder un pied dans la mégapole américaine. Pire, elle puise ses forces dans la cité rebelle, mettant en danger non seulement New York, mais aussi les cités du monde entier, les faisant sombrer toujours plus profondément dans le multivers. Pour survivre, New York devra se battre et trouver de nouveaux alliés parmi les cités les plus anciennes – et les plus puissantes.
Si le premier tome avait des aspects nébuleux, notamment dans ses scènes de combat, ce n’est plus le cas de Némésis de la cité. Les scènes d’action s’enchaînent, aussi spectaculaires que visuelles. Les personnages savent à présent se servir de leurs pouvoirs et n’hésitent pas à les utiliser – pour se défendre ou protéger leur chère cité. Cité par ailleurs évolutive, emplie de contradictions et de changements constants, rapides. Rien n’est figé, et c’est ce qui fait la force de ce deuxième et ultime opus d’une série à l’origine prévue comme une trilogie.
De l’aveu même de l’autrice, Genèse de la cité a failli ne pas avoir de suite, mais la réduction du projet de départ aura in fine servi l’ensemble, ce tome 2 bénéficiant d’un rythme plus soutenu, sans longueurs ni lourdeurs. Certains personnages sont certes mis à l’arrière-plan, mais c’est au profit des autres, qui deviennent d’autant plus attachants, à l’image de Padmini, alias le Queens, qui brille particulièrement. La rencontre avec d’autres cités, telles que Tokyo, Istanbul, Londres ou encore Paris, permet de voyager et mieux comprendre les enjeux du combat mené par les avatars de New York.
Notablement engagé, Némésis de la cité n’hésite pas à traiter de politique, une bataille pour la mairie prenant place contre un candidat intolérant face à la diversité qui fait l’essence même de New York. N. K. Jemisin se positionne donc clairement face aux discriminations en tous genres et dénonce le système politique américain. Pourtant, cet aspect engagé n’est ni trop mis en avant, ni trop secondaire. Étroitement lié à l’intrigue, il s’ancre pleinement dans le plan de la Dame Blanche, qui use des newyorkais les plus réfractaires à la diversité pour faire sombrer la cité au travers du multivers.
Multivers mystérieux que l’on découvre et comprend de mieux en mieux : ses enjeux, son impact sur les cités et leurs incarnations se dévoilent. Les théories scientifiques existantes qui viennent expliquer son existence apportent aussi une logique et un réalisme plus important, permettant de mieux se projeter dans ce monde où les mégapoles prennent vie.
En somme, un second volume plus réussi encore que le premier, valant vraiment le coup d’œil.