Malgré tout le reste, l’univers regorge de bonnes surprises. Neverwhere, deuxième roman de Neil Gaiman (mais premier en solo), traîne dans ma pile à lire depuis 1998, année de sa première édition française. Il lui aura fallu attendre près de vingt ans, et la mise en route de ce numéro spécial de Bifrost pour atterrir dans mes mains après avoir bravé moult déménagements et autres nettoyages de printemps qui furent souvent fatals à certains de ses collègues de papier. Honnêtement, son sort ne peut découler que d’une loi mystérieuse, secrète et impérieuse de sélection naturelle, digne de celle de Darwin, mais appliquée aux ressortissants des bibliothèques, du moins de la mienne.
« Jeune homme, dit-il. Comprenez bien ceci : il existe deux Londres. Il y a le Londres d’En Haut – c’est là que vous viviez – et il y a le Londres d’En Bas – le Sous-Sol – qu’habitent ceux qui sont tombés dans les interstices de ce monde. Vous en faites désormais partie. Bonne nuit. »
Neverwhere est littéralement bluffant. Avec une histoire dont le résumé pourrait presque tenir sur le rebord d’un dé à coudre, Neil Gaiman compose un roman qui en met plein les mirettes tout au long de ses 380 pages, qu’on ne voit franchement pas passer. Doit-on ce résultat au soin particulier apporté aux personnages tour à tour archétypes et modèles réalistes ? à la maîtrise de la narration et notamment des rebonds et autres « coups de théâtre », sans doute héritée de l’expérience acquise par l’auteur en tant que scénariste de comics, ces bandes dessinées qui descendent en ligne directe des feuilletons du XIXe siècle ? À la gouaille érudite d’un auteur qui sait habilement mixer des références très variées, raconter comme Dickens, imaginer comme Barker et causer comme un Audiard version angliche ?
« Bon, il a fallu une tétrachiée de fric… (il observa une pause pour laisser l’expression produire son effet – si Arnold Stockton estimait qu’il s’agissaitd’une tétrachiée de fric, alors, pas de doute, c’était une tétrachiée de fric) (…) »
Ou serait-il possible qu’on soit irrémédiablement séduit par cette formidable lettre d’amour ouverte qu’offre Neil Gaiman à la ville de Londres, cette magnifique cité où la modernité côtoie la tradition avec un bonheur inégalé ? Ceux qui ont déjà arpenté la capitale anglaise seront frappés par la justesse des descriptions de Gaiman. Les autres décideront de mettre des sous de côté pour se payer l’Eurostar. Car l’un des tours les plus saisissants du magicien Gaiman est de communiquer sa passion et son enthousiasme comme nul autre.
L’aventure, dont on tâchera de préserver la fraîcheur, tourne autour d’une jeune fille appelée Porte dont le don est d’ouvrir les portes même aux endroits où elles ne se trouvent pas. En toute logique, Neverwhere est une excellente porte pour découvrir l’univers de Neil Gaiman et y rester le temps de quelques volumes.