Suite au changement climatique, le niveau des océans s’est élevé d’une quinzaine de mètres. Pourtant, à New York, l’activité est toujours aussi intense. Les immeubles sertis dans la roche sont aménagés, les autres zones, dangereuses, sont abandonnées – mais squattées. Les rues devenues des canaux sont désormais encombrées de transports fluviaux et des passerelles aériennes relient les immeubles. Les bureaux convertis en appartements, les gratte-ciel désormais indépendants sont des cités-États organisées en coopératives avec aquaculture en sous-sol, fermes aériennes en loggias et sur le toit, cantines communes pas toujours fournies.
L’intrigue suit par chapitres interposés quelques habitants du MetLife building, emblématique de cette société de l’après catastrophe. Un autre personnage intervient, simplement dénommé le Citoyen, seul à s’exprimer à la première personne, qui n’est autre que la ville elle-même délivrant avec un avis tranché les explications nécessaires à la compréhension du background, sections didactiques isolées de la narration, selon un procédé que l’auteur a développé dans de précédents romans, et qui n’est pas sans rappeler celui de Brunner dans Tous à Zanzibar. Autour d’eux gravitent d’autres personnages en lien avec les intrigues aventureuses ou policières du roman, comme Hexter, vieil homme qui squatte un immeuble menaçant de s’effondrer, à la recherche d’un trésor du xviii e siècle jamais retrouvé, ou Idelba, modeste capitaine d’une barge partie sauver des gens de la tempête. On ne peut qu’admirer l’ingéniosité humaine pour préserver la ville, se réjouir de voir la jeune population profiter des marées pour surfer d’une rue à l’autre. Ici, les gens rêvent, aiment et créent, ils vivent à fond leur époque, ils n’en connaissent pas d’autre.
C’est d’ailleurs cette entraide qui représente un des points saillants de ces récits entrecroisés, la formidable capacité de résilience d’une ville qui ne renonce jamais : les orphelins illettrés Stefan et Roberto, qui vivent de débrouille sur leur bateau, assistent le vieil érudit dans sa quête et sont secourus par Franklin, le trader pas si inhumain, épaulé par Vlade, le concierge qui aide discrètement tout le monde. Ils secourent même à distance Amelia Black, reporter écologiste dont le dirigeable Migration assistée transporte une faune menacée vers un écosystème moins détérioré, tandis que l’avocate Charlotte signale la disparition de Mutt et Jeff, deux codeurs trop soucieux d’éthique, à l’inspectrice Gen, laquelle enquête sur l’OPA hostile dont leur tour fait l’objet.
La cause est entendue depuis longtemps : l’écologie est décriée dès lors que l’économie est en jeu. Ici, la capacité d’adaptation du monde de la finance est équivalente à la résilience de la population. Ainsi, l’indicateur boursier IPPI, que le trader qualifie de géofinance, se base sur l’Indice des prix des propriétés intertidales, les buildings inondés deux fois par jour lors des marées, indice utile dans l’estimation d’investissements variés, « y compris les paris sur la performance de l’indice lui-même. » Que le niveau de la mer à travers le monde baisse ou augmente, les traders dégagent des bénéfices.
En référence à la Destruction créatrice (1) qualifiée d’autre nom du capitalisme, K. S. Robinson dénonce l’imagination destructrice, la destruction créative dont se rend coupable la finance. Son réquisitoire est sans appel : « Suis-je en train de dire que la montée des eaux, la pire catastrophe de l’histoire de l’humanité (…) a en réalité profité au capitalisme ? Oui, je le dis. » Si certains de ses propos en faveur des exploités ne choquent personne en France, ils sont probablement chez lui ceux d’un extrémiste communiste.
Très documenté, comme toujours, plus militant que jamais, K. S. Robinson décrit l’immersion de la Grosse Pomme avec une précision hyperréaliste qui est aussi une promenade touristique. Un bon roman, d’ores et déjà sélectionné pour le prix Hugo.
Note
(1). La théorie de la Destruction créatrice de Joseph Schumpeter, économiste viennois émigré aux États-Unis, stipule que l’innovation, si elle est destructrice d’emplois, est également source de croissance. [NdA]