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Les critiques de Bifrost

Ni dieux ni monstres

Ni dieux ni monstres

Cadwell TURNBULL
L'ATALANTE
352pp - 24,50 €

Bifrost n° 115

Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115

De certains romans, il faudrait réussir à ne pas trop en dire, tant ils sont agréables à découvrir totalement. Arrêtez donc cette chronique ici si vous souhaitez garder intacte la surprise de cette lecture !

Vous avez donc décidé d’en savoir plus à partir de cette ligne ?

Notez donc en premier lieu que Ni dieux ni monstres est un récit d’apparence fantastique mais avec un sens du détail qui le rapproche de la science-fiction, doublé d’une critique sociale. Pour ce faire, Cadwell Turnbull s’empare avec brio de la figure du lycanthrope, qu’il applique à une réalité : les violences policières.

L’intrigue démarre par l’apparition d’une vidéo montrant que Lincoln, jeune homme noir tué par la police, était au moment du tir un immense loup-garou. Laina, la sœur du défunt, a décidé de poster cette vidéo en ligne, dépassée par ce qu’elle y a vu aussi bien que par la manière dont la vidéo est entrée en sa possession. Cette révélation, aussi brusque et claire que rapidement étouffée, sera un point de repère temporel, historique, nommé « La Fracture », et qui tiendra lieu de révélation : il n’y a pas qu’une humanité à habiter notre Terre.

Si le ressort n’est pas neuf, il est ici utilisé avec brio par la diversité des narrations et focales offertes sur cette réalité. Nous alternons les points de vue de Laina, Ridley, Rebecca (tous trois libraires dans une coopérative nommée Anarres Books — les amateurs de Le Guin apprécieront), Harry, Dragon, Sondra… et un narrateur. Certains de ces personnages sont des monstres ; tous viennent des marges concernant leur race, leur genre, leur classe ou leur sexualité.

C’est là que réside le tour de force du roman :; nous montrer l’humanité dans une diversité et réinventer l’idée du monstre en la sortant de la métaphore facile. Les « monstres » du roman le sont par naissance ou par choix, mais le manichéisme nous est, ainsi qu’aux personnages, impossible. Pour autant leur défense, leur potentielle protection, pose la question d’une humanité partagée. Tout un ensemble de réflexions intimes et de choix menés par les personnages qui culminera durant une scène de manifestation en soutien aux Monstres particulièrement marquante — dont est tiré le titre — qui se déroulera au premier anniversaire de la Fracture. Un événement clivant dans une société divisée sur l’inclusion des créatures qui, pourtant, y ont toujours été présentes.

Bien qu’on puisse se perdre avec la quantité de personnages, Ni dieux ni monstres se dévore. Notons aussi la traduction de Marie Surgers, qui fait montre, une fois de plus, d’une grande vivacité.

La narration sème d’ailleurs au détour d’un ou deux passages l’idée d’une existence plus large, d’un univers plus grand… et si ce roman peut se lire seul, de façon très satisfaisante une suite existe et paraîtra en français à l’automne : voilà qui est réjouissant !

Eva SINANIAN

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