Valerio EVANGELISTI
RIVAGES
Critique parue en juillet 1998 dans Bifrost n° 9
Une fois de plus la collection « Fantasy » de l'éditeur Rivages se paie de la Science-Fiction. Mais rassurez-vous, le Diable est bien de la partie…
Valerio Evangelisti recourt à un artefact que les lecteurs de Roland C. Wagner connaissent bien de ce côté-ci des Alpes : la psychosphère (voir la série des Futurs Mystères de Paris au Fleuve Noir). Ainsi trouve-t-on chez Evangelisti un concept très proche d'espace imaginaire habité d'archétypes, toutefois le fond culturel qui sert de substrat à ces récits diffère on ne saurait davantage d'un auteur à l'autre. Alors que Wagner nous plonge dans un Paris futur, Evangelisti nous immerge dans l'Aragon du bas moyen-âge et le fait vivre avec un art consommé. Aussi une idée commune ne devrait pas dissuader les lecteurs rebutés par Wagner d'y aller jeter plus qu'un coup d'œil.
Pour expliciter son texte, Evangelisti fait basculer le paranormal dans le champ de la physique par le biais de la fort loufoque théorie des psytrons. Bien sûr l'auteur n'est pas dupe une seule seconde de son artifice ni n'entend nous abuser, à témoin l'introduction où la théorie rejoint une pile de barjoteries du même tonneau. Ce n'est qu'un outil littéraire et les extraits du Livre de Frullifer, des monuments à la gloire du charabia pseudo-scientifique. Evangelisti prend un malin plaisir à pousser la suspension de l'incrédulité dans ses derniers retranchements.
Du coup, les voyages interstellaires sont possibles sous forme de projection dans l'espace imaginaire. Il y a déplacement spatial mais aussi temporel. Voici donc le Malpertuis sous le commandement du sinistre Prometeos et de l'abbé Sweetlady ( !) lancé dans un safari métaphysique censé leur permettre de capturer l'un des dieux de l'Olympe.
Pendant qu'ils chassent la divinité en l'an de grâce 1352 sur Gamma Serpentis, dans le royaume d'Aragon Nicolas Eymerich s'impose comme l'inquisiteur général. Bien vite, il lui apparaît qu'une terrible conspiration y est ourdie contre la Chrétienté. La théorie de Frullifer suppose des médiums à même d'imprimer aux psytrons les informations nécessaires à leur retour hors de l'espace imaginaire, ce qu'est justement Maria, la fille du roi Pierre IV Autour d'elle, le Père Arnau et Elisen Sentellès Valbuena ont comploté le retour de Diane sur Terre lors d'un gigantesque sabbat. Enquêteur fin et inspiré, Nicolas Eymerich y mettra bon ordre pour rejoindre le club des grands détectives de l'étrange.
Ce qui importe à Evangelisti, c'est la mise en scène historique et le combat de la Chrétienté pour s'imposer. Les positions de l'inquisiteur et de la sorcière ne manqueront pas de nous interpeller. Les sorcières se vouant au culte de Diane revendiquent l'harmonie de leur corps et de la nature et reprochent à l'Église chrétienne et « masculine » son matérialisme et son rationalisme. Il gît là un faisceau de contradictions sur lesquelles le lecteur pourra s'appesantir. Grever le système de superstitions chrétien de rationalisme n'est sans doute pas le moindre des paradoxes et l'on peut se demander si le corps et la nature sont moins matérialistes que la métaphysique de l'Eglise. Le décalage historique induit un questionnement intéressant sur la Chrétienté et les réactions qu'elle peut susciter aujourd'hui comme jadis.
Traduit de l'italien par l'auteur de polar Serge Quadruppani, ce premier roman de Valerio Evangelisti consacré à Nicolas Eymerich est d'une originalité plus que suffisante pour inciter la lecture du second tome paru simultanément chez le même éditeur.