Thomas DAY
BALEINE
112pp -
Critique parue en octobre 2020 dans Bifrost n° 100
Nous rêvions d’Amérique est l’un des titres de la (défunte) collection « Série grise », initiative des éditions Baleine au début des années 2000. Répondant à une ligne éditoriale imaginée par Jean-Bernard Pouy (l’homme du « Poulpe »), cette « Série grise » proposait des textes courts, imprimés en (très) gros caractères. Comme le suggérait sa couleur évoquant celle des chevelures des lecteurs et lectrices d’un âge avancé, cette collection voulait s’adresser avant tout autre public aux séniors amateurs et amatrices de polar. Estimant sans doute que pareil lectorat n’était susceptible de s’intéresser qu’à des protagonistes du troisième âge, la « Série grise » avait encore inscrit à son cahier des charges l’obligation pour ses auteurs et autrices de mettre en scène des personnages au crépuscule de leur existence…
Autant de contraintes d’écriture auxquelles Thomas Day se plia avec la plus professionnelle des rigueurs pour Nous rêvions d’Amérique. Se déroulant dans l’Ouest étasunien durant les années 1990, le récit a pour héros « Grand-Père Hoijer », un vieil Amérindien n’ayant jusqu’alors jamais quitté ce que les autorités fédérales appellent une réserve. Un territoire que ce vieillard hopi préfère, quant à lui, nommer « le sol sacré ». Si l’on ne sait initialement rien des raisons du périple dans lequel s’engage Hoijer au début de Nous rêvions d’Amérique, Thomas Day sème cependant quelques indices en suggérant les ressorts criminels. Les instructions qu’il laisse à sa fille Mary-Margaret – chargée de garder son chien Bip-Bip et sa boutique de souvenirs – sonnent comme autant d’ultimes volontés. Quant à la numérotation décroissante des chapitres, elle évoque un compte-à-rebours d’abord confusément inquiétant, puis de plus en plus explicitement dramatique. Car c’est un voyage sans retour que narre Nous rêvions d’Amérique…
Marquant pourtant la seule incursion de Thomas Day dans le champ de la fiction dite policière, ce texte témoigne de sa part d’une connaissance certaine du genre. On est, entre autres influences, tenté de reconnaître celle des polars navajos de Tony Hillerman dans ce bref portrait d’un Amérindien en butte à la société étasunienne.
Nous rêvions d’Amérique ne se contente cependant pas d’entrelacer des références au polar et au cinéma. Sa forme révèle aussi une maîtrise efficace des codes narratifs du roman noir, puisqu’elle combine à une intrigue criminelle un regard à la fois documentaire et critique sur les USA (Day s’intéresse ici, plus particulièrement, à une certaine association étasunienne dont on ne dira rien ici… tout en indiquant que le titre du récit en suggère le nom), tout en l’imprégnant d’une tonalité tragique. Celle-ci s’atténue cependant lors du dénouement. Quittant alors le vériste domaine du polar pour celui de l’Imaginaire, Thomas Day nimbe d’un émouvant fantastique les ultimes instants d’Hoijer. Délirantes ou spectrales, les dernières visions du Hopi lui ouvrent enfin les portes de cette Amérique fraternelle dont il avait toujours rêvé…