Cadwell TURNBULL
L'ATALANTE
304pp - 24,50 €
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
Ni dieux ni monstres (cf. Bifrost 115) tout juste paru, voici qu’arrive déjà sa suite. Trois ans après la fin du premier tome, s’achevant sur une manifestation tournant au chaos à Boston, Cadwell Turnbull reprend les nombreux fils entamés et l’action ne tarde guère à repartir.
Dans cette société bouleversée par la découverte de monstres vivant en son sein, la violence n’a pas diminué. Les suprémacistes anti-monstres sont de plus en plus organisés et mènent des assauts réguliers. De l’autre côté, un réseau clandestin de solidarité préexistant a fort à faire. À cela s’ajoute des affrontements ou des chasses plus interpersonnelles.
La galerie de personnages, toujours pléthorique, se voit encore augmentée. Laina, Riley et Rebecca vivent et travaillent désormais ensemble, cette dernière ayant perdu sa meute. Dragon tente, de manière émouvante, entre violence et quotidien faussement banal, de comprendre ce monde extérieur et ces étranges créatures sociales que sont les humains. Melku est toujours aussi énigmatique. Plus loin, Matthew et Sondra s’attellent à faire bouger les lignes, à leur manière. Parallèlement, le casting des monstres reprend la recette du premier roman : des figures classiques des folklores occidentaux (avec une spectaculaire nouveauté), mixées à des entités caribéennes.
D’Asha à Zsouvox, en passant par des groupes plus informels, diverses coopératives et une agence gouvernementale, l’aspect collectif est au cœur du roman, bien symbolisé par le « Nous » du titre. Si les tensions sont nombreuses et les intérêts variés, tout le monde avance, fût-ce à contre-courant, au sein d’un mouvement. À part peut-être ce mystérieux narrateur qui, s’il a trouvé des oreilles pour entendre sa voix intérieure, semble bien démuni.
Si les lieux sont peu nombreux, un certain vertige d’immensité persiste, pour les mêmes raisons que dans Ni dieux ni monstres, et l’intrigue progresse aussi sur ce… plan-là. Espace et temps restent toujours des notions très relatives pour certains personnages.
L’auteur poursuit son ambitieux projet de faire cohabiter divertissement, avec monstres et sociétés secrètes, et réflexion sur les dominations au travers d’un prisme intersectionnel revendiqué. En termes de classe, par exemple, vampires et lycanthropes ne se retrouvent pas dans les mêmes populations, et la condition d’un monstre riche diffère de celle d’un pauvre. Genre, race et sexualité ne sont pas en reste.
Mieux vaut avoir bien en tête le livre précédent avant de se lancer dans Nous sommes la crise, tant les positionnements sont multiples et interconnectés. De nombreuses questions restent en suspens, et il faudra encore attendre un peu avant de connaître la conclusion de cette trilogie, Cadwell Turnbull venant tout juste, au moment de la rédaction de ces lignes, de rendre son manuscrit à l’éditeur.
D’ici là, la plongée dans cet univers dense, ébouriffant, demeure fortement recommandée.