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Les critiques de Bifrost

Nous sommes Légion (Nous sommes Bob)

Nous sommes Légion (Nous sommes Bob)

Dennis E. TAYLOR
BRAGELONNE
384pp - 17,90 €

Bifrost n° 92

Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92

Bob Johansson est un homme heureux. Informaticien et geek assumé, il vient de vendre sa start-up florissante pour une somme rondelette. Il n’a plus à s’inquiéter pour la suite de sa vie et imagine sa future existence oisive pleine de possibilités alléchantes. Sauf que traverser une rue peut s’avérer fatal : il ne survit pas à l’accident. À son réveil, des années plus tard, il n’a plus grand-chose d’humain ; son esprit a été numérisé et son corps réduit à une boite. Ses « sauveteurs » lui proposent alors (non sans insistance) de prendre le contrôle d’une sonde spatiale. Son but : coloniser l’espace avant ses concurrents venus d’autres coins de la planète. Car la politique extérieure ne s’est guère améliorée avec le temps, et en 2133, certaines régions du monde sont prêtes à en venir aux mains – aux bombes, plutôt – pour affirmer leur point de vue Et c’est parti pour une immense partie de stratégie. La sonde a la capacité de se répliquer, et donc de créer de nombreux petits Bob. Elle doit choisir une destination, y parvenir et vérifier la possibilité d’une colonisation future par l’homme (pour peu qu’il reste des survivants sur notre belle planète). Tout cela en évitant les attaques ennemies et les pièges de l’espace. Un bon programme…

Voilà une lecture agréable qui ne demande pas un effort démesuré. Dans ce roman, très semblable à un jeu de conquête, les possibles questions scientifiques aigües, objets de longues et souvent passionnantes digressions dans les ouvrages de hard science, sont vite évacuées. Ce n’est pas le propos : ici, seule l’action compte. Même la psychologie du personnage central est assez sommaire : se retrouver dans une boite, transformé en un cerveau électronique, sans plus grand-chose d’humain, doit un peu secouer. On se souvient par exemple de William Hjortsberg (l’auteur d’Angel Heart, vous voyez ?) et de son roman Matières grises (traduit en 1974 chez « Ailleurs & demain »), avec ces cerveaux maintenus en vie sur des étagères cherchant désespérément à retrouver un corps. L’immortalité y était traitée avec force, ses conséquences imaginées… Or, dans le cas qui nous occupe, foin de tergiversations. Fan de culture geek, Bob maitrise parfaitement les codes de sa mission et s’éclate sans trauma apparent ; aucune séance de psy à l’horizon. Je ne suis plus qu’un cerveau dans une boite ? Cool…

Dennis E. Taylor assume parfaitement le côté ludique de son postulat : la description de notre possible avenir a quelque chose de réjouissant dans ses excès (enfin, réjouissant, tant que ce futur reste un délire de romancier, sinon, plaignons les générations futures…). Les dirigeants sont caricaturaux au possible, détestables à souhait. De même, le côté geek est présent à tous les étages : références nombreuses à cette culture un temps moquée mais désormais dominante ; action plutôt que réflexion – et surtout, histoire contée comme un jeu vidéo : vous avez un personnage initial avec des capacités bien établies, un univers à conquérir, des ennemis à vaincre, un but à accomplir. Au boulot !

Pas déplaisant, donc, mais sans doute un peu vain. Et surtout, la perspective d’une longue série (le deuxième tome est déjà paru par chez nous en septembre ; le troisième opus VO est sorti l’année dernière ; le quatrième semble sur les rails) inquiète tant le monde de Bob, sauf renouvellement pas gagné, risque de lasser assez vite, à l’image de ces séries télés incapables d’en terminer à temps – quoi, Walking Dead ?

Raphaël GAUDIN

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