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Les critiques de Bifrost

Nous sommes les chasseurs

Nous sommes les chasseurs

Jérémy FEL
RIVAGES
720pp - 24,00 €

Bifrost n° 107

Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107

Maison hantée dans le Doubs, possession, créatures extraterrestres malfaisantes, univers parallèles, Xavier Dupont de Ligonnès, loups-garous, sorcières, sacrifices humains, pandémie, meurtres en série, secte apocalyptique, découverte de l’homosexualité mas­culine, cérémonie satanique, pédophilie, énig­mes criminelles plus ou moins célèbres, chuchoteurs (ces citoyens qui vous surveil­lent pour le compte d’un gouver­nement obsédé par le contrôle de sa population) – et l’inventaire est loin d’être clos –, voilà en partie ce que vous trouverez dans ce faux roman faux recueil de nouvelles dont le fil rouge semble être l’actrice Nathalie Wood, qui, sorte de gadget nar­ratif, de balle rebondissante, ap­paraît dans tous les segments, à toutes les époques : jeune, cé­lèbre, pas encore morte, resca­pée du destin tragique qu’elle a connu dans notre monde (noyade accidentelle ? meurtre ?).

Jérémy Fel, dont c’est le troisième roman, après Les Loups à leur porte (2015) et Helena (2018), ne manque pas d’ambition. Il fait parfois preuve, mais pas toujours, d’une maîtrise narrative impressionnante qui le rap­proche de Stephen King, peut-être en un peu plus aride. Mais voilà, boum patatras, Nous sommes les chasseurs est trop long, la multiplication des thèmes et des personnages (certains à peine esquissés, d’autres totalement interchangeables) finit par lasser là où elle avait sans doute l’intention d’impressionner. Arrivé à un peu plus de la moitié (vers la page 400 sur 720) le lecteur commence à s’enliser. Les nom­breux points de repère culturels (David Lynch, évidemment, mais il y a tant d’autres références pop ici et là) apportent une sorte de vernis écaillé, assez peu con­vaincant, qui tombe au sol à me­sure qu’il est appliqué. On re­grettera aussi la référence aux deux précédents romans de l’auteur sous forme de notes de bas de page. Sur le moment, le procédé semble puéril, évoque des béquilles trop courtes, inu­tiles.

Si on peut aisément faire l’éco­nomie de cette lecture harassante, on se permettra toutefois de garder à l’esprit que Jérémy Fel est un auteur à suivre et qu’il n’est pas du tout à l’abri de nous pondre un chef-d’œuvre un jour. En tout cas, il a bien compris quel est le cœur battant de la grande lit­térature : rien de moins que la nature du mal.

On ne félicite pas l’éditeur, qui signe pour l’occasion le texte de quatrième de couverture le plus pourri de l’année.

Thomas DAY

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