Philip K. DICK
DENOËL
1392pp - 42,00 €
Critique parue en juillet 1998 dans Bifrost n° 9
Ce quatrième et dernier recueil des nouvelles complètes de Dick couvre une période de près de vingt ans. Celle-ci correspond à la période où Dick devient un auteur de premier plan, grâce à des romans devenus des classiques, et où cette dernière forme devient prédominante.
Bon nombre de ces nouvelles peuvent être considérées comme des ébauches de roman (« Au temps de Poupée Pat », « Rendez-vous hier matin », « Une odyssée terrienne », « Chaînes d'air, réseau d'éther »…) ce qui ne signifie pas que telles étaient forcément les intentions de Dick au départ. « Dans la nouvelle gisait le germe », écrit Dick qui avoue que certaines de ses idées restent mieux exprimées sous cette forme qu'intégrées à un projet plus vaste dans le cadre d'un roman.
Durant la décennie précédente, la question de la définition de l'humain et de la réalité avait souvent pris la forme d'invasions insidieuses, d'artefacts dont il était impossible de déterminer l'extranéité. On en trouve encore quelque trace comme dans « Un précieux artefact » (l'un des derniers humains se raccroche à un chat symbolisant son monde détruit, sans savoir que les extraterrestres vainqueurs l'ont fabriqué pour son bon équilibre psychique). On sent pourtant la veine s'appauvrir, Dick synthétisant ses doutes jusqu'à la caricature et ne se privant pas, du coup, de les traiter par l'humour : un humain se changeant en gélate 12 heures sur 24 ne se sent pas plus humain qu'une gélate se transformant les trois quarts du temps en (ravissante) humaine (« Ah ! Être un gélate ! ») ; comment se mêler aux humains sans se faire repérer se demande un des petits envahisseurs Fnouls ? Cigarettes, whisky et p'tites pépées font de vous un homme à condition de ne pas en abuser ! (« La guerre contre les Fnouls »).
À présent, il ne s'agit plus d'identifier une menace externe mais de démêler, à l'intérieur de soi, le vrai du faux : l'homme conditionné pour croire à des événements qui n'ont pas eu lieu (« Le retour du refoulé »), l'homme se faisant greffer des souvenirs de voyage (« Souvenirs à vendre »), l'homme apprenant qu'il n'est qu'une machine et que sa perception de la réalité (ou bien la réalité elle-même ?) ne dépend que de la bande perforée qui défile dans sa mémoire (« La fourmi électrique ») sont autant d'exemples où le héros dickien ne se contente plus de douter de ses sens mais de lui.
Est-ce pour cette raison qu'il éprouve le besoin de se livrer à quelques confidences autobiographiques, de faire le point, parfois par le biais de texte symbolique comme Cadbury, le castor en manque, où sont exprimées ses difficiles relations avec les femmes ?
Précédant le délire mystique de Dick, et en prolongement direct avec les thèmes qu'il ressasse sans cesse, de nombreux textes posent la question de la divinité (« La boîte noire », « La foi de nos pères », « L'œil de la sybille », « Le cas Rautavaara »), préfigurant entre autres les romans de la « trilogie divine » ou encore le roman qu'il projetait d'écrire, Le Hibou ébloui, dont on trouvera ici le synopsis inédit que Dick avait présenté à son éditeur.
Une chose est sûre à la lecture de ces quelques pages condensant davantage un projet qu'un récit : Dick n'aurait pas fini de nous étonner !