Depuis la fin des années 50, les vampires n'ont jamais cessé d'être à la mode, pas même quelques mois ; pour s'en convaincre il suffit de regarder la liste des films et livres qui, depuis l'époque où Christopher Lee a chaussé son premier dentier, leur donnent le beau rôle…. sans parler de la télévision, et notamment de ces chers Buffy et Angel.
De temps à autre, un auteur (ou un cinéaste — Kathryn Bigelow en 1987 avec Aux frontières de l'aube ; Abel Ferrara en 1995 avec The addiction ; Po-Chih Leong en 1998 avec La Sagesse des crocodiles) tente une approche originale à défaut d'être totalement inédite, ce qui donne parfois des œuvres marquantes. Pour ce qui est du strict domaine littéraire, on citera L'Aube écarlate de Lucius Shepard (critique dans Bifrost n°51), Riverdream de George R. R. Martin (critique dans Bifrost n°42) ou Âmes perdues de Poppy Z. Brite. Novice raconte l'histoire de Shori, une vampire amnésique de 53 ans dont le corps, toujours en pleine croissance, ressemble à celui d'une petite fille noire de 10 ans. Alléchant, sauf que l'ouvrage échoue dès le départ à convaincre, plus d'ailleurs comme roman que comme « roman de vampires ».
Bourré de très bonnes idées (beaucoup malheureusement moissonnées chez Stephen King), audacieux (puisque le vampirisme décrit est un vampirisme de plaisir, de sélection génétique et de symbiose avant tout, et non un vampirisme de folklore, de domination et de meurtre), Novice se lit davantage comme un best-seller à la Michael Crichton que comme un livre fantastique. Ainsi n'est-on pas surpris de voir cet ouvrage souffrir des habituels défauts du tout-venant catégorie « thriller de plage » : c'est long, très bavard et construit sur une trame usée jusqu'au moindre de ses atomes : héroïne amnésique poursuivie par des tueurs implacables, vampirette pleine de ressources qui vogue de révélation en révélation, pour laquelle la vérité se retourne comme un gant, une fois, deux, trois fois, ad nauseam. Seule surprise, la fin du livre, qui tend vers le « film de procès » cher au cinéma américain depuis Douze hommes en colère.
À le regarder de près, le texte est encore moins convaincant : style inexistant ou presque, failles scénaristiques, nombreuses, qui vous sortent de votre lecture comme si vous veniez de recevoir un coup de poing à l'estomac, scènes d'un manque de crédibilité incroyable (notamment la première « vampirisation » de Shori, et tout le passage où un groupe de fermes brûle pendant deux jours, sans que personne ne s'en aperçoive), tout comme est incroyable l'incompétence crasse des autorités locales chaque fois qu'un nid de vampires est éradiqué dans un immense feu de joie. Pour tout arranger, l'édition française est à l'avenant : traduction falote, Bram Stoker orthographié Stocker, et j'en passe…
Les livres ratés ne manquent pas, mais en plus d'être raté, Novice m'a semblé — commentaire subjectif en diable — déplaisant, sans trop que je sache d'où venait précisément le malaise. Rien de précis, donc, mais une accumulation de petits détails, de petites remarques sur les races, les sectes, la foi, la génétique, qui donnent une drôle de texture à l'ensemble, un peu comme quand vous mâchez un fortune cookie trop vieux. Shori, noire, a des esclaves (qu'elle considère comme des symbiotes), mais n'a pas d'état d'âme puisqu'ils sont a priori heureux, comme il se doit. Par ailleurs, même si on arrive fastidieusement à considérer l'héroïne comme une adulte, sa sexualité régulièrement remise sur la table finit par lasser, et l'audace laisse rapidement la place à une impression déplaisante de gratuité (Lolita est un chef-d'œuvre sur le plan du style, enrobage qui fait « passer » beaucoup de choses susceptibles de rester en travers de la gorge, sans même parler de son humour ; Novice n'arrive ni à la cheville, ni à la semelle du plus célèbre roman de Vladimir Nabokov).
Avec Novice, l'afro-américaine Octavia Butler (surtout connue pour son diptyque La Parabole du semeur, La Parabole des talents — Au Diable Vauvert) a, ce qui ne surprendra personne, voulu écrire sur l'esclavagisme, les préjugés, les différences raciales, les forces et faiblesses du métissage, chassant ainsi sur les terre de Toni Morrison (Beloved, Jazz), de Percival Everett (Effacement) et de Pete Dexter (Train). Malheureusement Novice, présenté par l'éditeur français comme son testament littéraire (Octavia Butler est morte en 2006, à l'âge de 59 ans), souffre terriblement de telles comparaisons et semble « inachevé ». Là où Toni Morrison (Prix Nobel de littérature en 1993) avale à pleins poumons les problématiques raciales, les inspire et les expire avec force jusqu'à créer une tempête sous le crâne de ses lecteurs, Octavia Butler crapote, ne s'élève jamais très haut et provoque avant tout l'ennui.