Octavia E. BUTLER
AU DIABLE VAUVERT
463pp - 22,00 €
Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108
Ayant pour thème le métissage, Novice adopte une construction elle-même hybride combinant des régimes narratifs les plus divers…
Le roman s’ouvre par des pages à l’horreur malaisante. On y découvre la narratrice (et protagoniste) blessée et amnésique. Elle gît dans une caverne sylvestre où elle tue puis dévore une créature s’étant aventurée dans son refuge. Miraculeusement guérie par son accès de férocité prédatrice, la narratrice quitte sa cache. Elle déniche les ruines d’un hameau, théâtre d’une violence énigmatique. Ayant rejoint une route, elle y attire l’attention d’un automobiliste. Rencontrant pour la première fois un regard humain depuis son retour à la pleine conscience, elle s’entend dire par Wright, le conducteur, qu’elle est une fillette afro-américaine d’une dizaine d’années. Déjà singulière, la narratrice le devient alors encore plus, en se mettant à boire le sang de Wright après l’avoir blessé. Ayant ainsi révélé la nature vampirique de l’enfant sauvage, Novice teinte bientôt son épouvante déjà perturbante d’un érotisme pareillement dérangeant. Tirant d’abord une véritable jouissance de la consommation de son sang par la fillette, l’adulte qu’est Wright aura bientôt avec elle un rapport sexuel apparemment pédophile… jusqu’à ce que l’on apprenne que l’infantile héroïne de Novice a en réalité cinquante-trois ans ! Se muant en enquête menée par la femme-enfant et son compagnon, le roman nous dévoile que Shori (tel est son prénom) appartient aux Inas, qui constituent une branche spécifique du genre humain. Semblables à nous autres Homo sapiens, les Inas s’en distinguent par une mutation génétique faisant d’eux (entre autres singularités) des buveurs de sang, si possible humain…
En réinterprétant ainsi le motif vampirique, Novice évoque Les Fils des ténèbres de Dan Simmons (cf. Bifrost n° 101), imaginant lui aussi une origine science-fictionnelle aux « nosferatus ». Mais alors que Dan Simmons campait classiquement le « non-mort » en monstre destructeur, Octavia E. Butler voit dans le vampirisme génétique des Inas un phénomène salvateur et libérateur. Rejoignant en cela Laisse-moi entrer de John Ajvide Lindqvist, Novice fait de ses vampires des êtres bénéfiques pour les humains choisissant de s’associer à eux. Développant avec ceux-ci une relation symbiotique, les Inas (eux-mêmes appelés à vivre des siècles) leur offrent une exceptionnelle longévité. Ils leur permettent en outre d’intégrer une société parallèle à celle de la classique humanité, matriarcale et libertaire, et décrite avec une précision transformant alors Novice en traité ethnologique. Déjà autrement plus avancé que le monde patriarcal de l’Homo sapiens (du moins d’un point de vue progressiste), celui des Inas est sur le point de franchir un nouveau cap émancipateur. Et ce grâce à Shori, qui constitue la première métisse Ina/ Homo sapiens, incarnant ainsi la promesse d’une nouvelle ère dans l’histoire commune aux deux espèces.
Tous les Inas n’apprécient cependant pas cette évolution, les plus conservateurs d’entre eux étant à l’origine des violences ayant frappé Shori et ses proches. Cet affrontement déchirant les Inas trouvera sa résolution avec un procès, amenant in fine Novice du côté du roman judiciaire. Ce n’est pas la partie la plus exaltante d’un récit procurant un plaisir de lecture d’intensité variable. Plus ou moins convaincant selon les genres adoptés, il séduit avant tout par sa réappropriation spéculative de la figure vampirique. Intellectuellement stimulant, Novice s’avère narrativement plus frustrant, peinant à maintenir l’intrigante tension des chapitres inauguraux…