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Les critiques de Bifrost

Nuage Orbital

Nuage Orbital

Taiyô FUJII
ATELIER AKATOMBO
18,00 €

Bifrost n° 93

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

L’innovation consiste à concevoir un outil plus efficace, moins fatigant à utiliser mais aussi moins coûteux à fabriquer : de la hache de pierre à la tronçonneuse, l’ingénierie a ainsi permis l’amélioration continue du rendement des bûcherons. La course à l’espace ne fait pas exception, même si son histoire est bien plus récente : on sait maintenant positionner en orbite maints satellites artificiels dont certains – raffinement suprême — sont habités. La technologie permettant de réaliser ces exploits est à présent éprouvée, mais elle reste si dispendieuse qu’elle est de facto réservée aux nations les plus industrialisées — quand ce n’est pas à l’initiative privée la plus riche. Taiyô Fuji pointe avec justesse dans Nuage orbital toute l’injustice impliquée par cet état des choses qui laisse sur la touche bon nombre de nations dont les ingénieurs, pourtant, ne déméritent pas dans la course à l’innovation : d’un côté se trouvent les nations industrialisées dont les techniciens spatiaux disposent d’ordinateurs à la puissance de calcul incomparable – le roman rappelle que le NORAD, chargé de la surveillance aérospatiale de l’Amérique du Nord, dédie une partie de ses ressources, humaines et informatiques, pour suivre l’itinéraire du Père Noël chaque soir de 24 décembre –, alors que de l’autre se trouvent des gens qui doivent parfois recourir au bricolage, au matériel hors d’âge, et même au calcul manuel, pour suivre la dynamique orbitale. Tout Nuage Orbital repose par conséquent sur une hypothèse science-fictive très intéressante : est-il possible, pour un ingénieur assez futé, de dépasser le handicap que représente une assistance informatique inférieure à celle de ses compétiteurs ? En d’autres termes, l’informatisation à outrance n’entraîne-t-elle pas une réduction de l’innovation technique, puisqu’elle conduit les ingénieurs à oublier leur créativité une fois le confort calculatoire acquis pour de bon ?

Les idées de Nuage orbital sont de toute évidence conçues pour captiver le lecteur intéressé par l’ingénierie, l’espace et la SF de progrès. Situé dans un futur proche, ce livre propose une réflexion sur le statut de l’innovation, qu’il calque sur un thriller politico-scientifique aux ramifications internationales où les intérêts des grands joueurs sur l’échiquier spatial s’opposent à ceux de leurs challengers. Kazumi et Akari, travaillant tous deux au sein d’une start-up vouée au suivi amateur des innombrables déchets spatiaux susceptibles de se changer en étoiles filantes, sont eux-mêmes des bricoleurs qui mettent par hasard au jour un complot international impliquant une technologie nouvelle : militarisée, celle-ci permet de détruire à moindre coût les satellites des grandes puissances. L’enjeu de la confrontation qui se préfigure, pour ceux qui se proposent de renverser la table, est de faire sortir un nouvel ordre spatial du chaos qui s’ensuivra. Comme on peut s’y attendre, la solution que l’équipe constituée autour de Kazumi et d’Akari mettra en œuvre, au profit des grandes puissances – USA en tête –, ne pourra venir d’un nouvel excès de puissance de calcul mais plutôt d’un bricolage. En ce sens, Nuage orbital peut bel et bien se lire comme une ode permanente à la créativité en ingénierie : on aurait de fait préféré que sa démonstration, louable, soit servie par un propos moins bavard… On aurait surtout apprécié que certains de ses personnages soient moins interchangeables, moins stéréotypés, aussi, et en tout cas plus attachants. Si aucun de ces défauts n’est tout à fait rédhibitoire, il n’empêche qu’ils interdisent à Nuage orbital d’atteindre le statut de grand livre que son argument aurait dû lui valoir. Dommage !

Arnaud BRUNET

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