Sergueï DIATCHENKO, Marina DIATCHENKO
L'ATALANTE
24,50 €
Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104
Passer ses journées devant son ordinateur à tester de nouveaux jeux vidéo, le rêve pour beaucoup d’adolescent(e)s. Et même pour beaucoup d’adultes. Et c’est exactement ce que Maxime, un riche patron d’entreprise au look pour le moins étrange, propose à Arsène, jeune garçon plein d’aisance dans les jeux mêlant stratégie et manipulation. Après l’avoir tiré des griffes de pirates informatiques sans scrupule, il le met en compétition pour un poste idéal. Mais la concurrence est rude : pas d’autres ados sans expérience de la vie comme lui, mais des adultes méprisants au passé autrement plus riche. Pour les départager, des épreuves étranges et déstabilisantes. À travers elles, Arsène va voir son regard sur lui-même et, surtout, sur le monde qui l’entoure, se modifier de façon radicale.
Deuxième roman situé dans le cycle des « Métamorphoses », inspiré d’Ovide, Numérique laisse de côté la magie du premier opus pour l’univers, a priori plus terre à terre, des bits et des octets. Et par ce changement de sujet, il perd en mystère ce qui faisait le charme puissant de Vita Nostra (in Bifrost n° 97). Paru en 2009 en VO, Numérique n’est pas trop daté, pour ce qui est des références aux ordinateurs : les jeux imaginés, les passages dans le réseau tiennent encore la route si on n’est pas trop difficile. Une prouesse quand on voit la vitesse de transformation de ce secteur. Mais les petits tours de passe-passe des auteurs sont moins efficaces dans ce deuxième opus. On les voit venir de plus loin et les ficelles sont plus grossières.
Rien de rédhibitoire pour autant. Numérique est un roman très agréable à lire et propose des rebondissements qui maintiennent l’intérêt du lecteur de bout en bout, à part quelques temps brefs morts. De plus, il interroge sur le libre-arbitre et sur notre relation au pouvoir. Arsène se voit offrir toujours davantage de possibilités d’influer sur les autres, sur la réalité. D’ailleurs, il s’interroge ouvertement sur ce marché aux allures de pacte faustien auprès de son possible futur patron, Maxime. Qui réfute absolument cette idée. Mais doit-on le croire ? Finalement, au fur et à mesure de l’accroissement de ses pouvoirs, Arsène en vient à se demander ce qui compte vraiment dans l’existence. Il se pose des questions sur l’envie ou son absence devant le manque de difficultés à obtenir l’objet des désirs, devant l’abondance. Comme les riches qui, pouvant tout se permettre, perdent toute volonté de se battre et, à long terme, de vivre.
Ce questionnement, disons-le franchement, n’est pas d’une grande originalité. Mais son traitement, lui, n’en manque pas dans certaines fulgurances. Les auteurs savent encore surprendre leur lecteur et l’emmener plus loin qu’il n’imaginait. Et certains personnages secondaires se montrent plaisants à suivre ou à détester. Malgré tout, Numérique reste en-deçà de Vita Nostra. Pas suffisamment, cependant, pour ne pas attendre avec intérêt la prochaine parution du dernier tome de cette trilogie au goût d’étrange, portée par un vent froid venu de l’est.